Supplément Université des classes populaires – Patrick Boucheron Conjurer la peur. Sienne, 1338. Essai sur la force politique des images
Quelle ne fut pas ma surprise quand, cherchant un tableau représentant une ville bourgeoise de l’Ancien Régime, j’ai trouvé le livre de Patrick Boucheron, Conjurer la peur, Sienne, 1338, où se trouve détaillée et étudiée une suite de fresques du peintre Ambrogio Lorenzetti (xive siècle), qui représentent en plusieurs tableaux une allégorie des effets du « bon et du mauvais gouvernement », et sans doute aussi les effets de l’absence de tout gouvernement civilisateur.
Je retrouvais des images déjà vues dans des documents que l’on nous avait montré à l’école pour comprendre comment était organisée une ville et ses alentours, les champs exploités à proximité. Mais je n’avais pas retenu l’importance de ce que montre l’ensemble de l’œuvre de Lorenzetti qui, occupant trois murs de la salle des Neuf du Palazzo Publico à Sienne, avait été réalisée dans un but précis.
Cette fresque peinte entre 1337 et 1340, correspond en effet à une commande passée par le gouvernement de la ville de Sienne, dans une période de prospérité et de paix civile.
Cette œuvre témoigne de la richesse de la ville, de son organisation équilibrée, et aussi du désir de rivaliser avec la ville voisine Florence. Elle est exposée dans un lieu ayant une forte valeur symbolique, le Palazzo publico, centre politique et économique de la ville. Dans les différents tableaux s’exprime la volonté du maintien d’un état de paix durable par l’équité et la justice, qui suppose la recherche du bien commun, la lutte contre l’ignorance des lois. L’œuvre est destinée à célébrer un régime communal républicain, que les pouvoirs de forme seigneuriale et des tyrannies au service de profits particuliers, mettent en danger, jusqu’à conduire à le destruction de la Cité.
Dans la ville bien organisée selon les principes de justice (le “bon gouvernement”), on peut admirer l’ordonnancement de l’architecture, des lieux publics où s’exercent les activités des différentes classes de la société. Partout ils sont à l’œuvre dans la production, le commerce, l’instruction, des maçons, un tailleur vu de dos cousant, l’atelier d’un orfèvre, un marchand consultant un livre de comptes, un maître d’école, des gentilshommes à cheval. Ce lieu où l’on travaille est aussi lieu où l’on se réjouit. On voit sur la gauche un cortège de noces, neuf jeunes filles dansant une ronde tandis que la dixième joue du tambourin. La ville se présente joyeuse, baignée de lumière. Un va-et-vient d’échanges s’opère entre la ville et les campagnes environnantes, prospères, bien cultivées,
Là où ne règne pas le bon gouvernement, mais l’injustice, l’arbitraire, l’anarchie, c’est la désolation, la ruine, la guerre, la destruction des richesses. Ces parties de la fresque sont altérées, peu lisibles.
Le livre, de par la qualité des reproductions de l’œuvre d’Ambrogio Lorenzetti, est magnifique. Le découpage des images opéré sous la responsabilité de Patrick Boucheron, leur accompagnement par un texte qui restitue, sans aucune pédanterie, le sens et la portée historique de cette fresque, font de ce livre un “bel ouvrage” à se procurer et conserver dans sa bibliothèque.
Patrick Boucheron, Conjurer la peur. Sienne, 1338, Éditions du Seuil, 2013, (33 €).