Jules Guesde : Classe ouvrière, nation, patriotisme, internationalisme
Pour Jules Guesde (1845-1922), dirigeant du Parti Ouvrier de France, la nation est considérée comme une forme progressiste de l’évolution humaine, ce qui n’exclut pas l’existence en son sein d’une lutte entre classes sociales. Guesde n’en déduit pas pour autant que le cadre national, historiquement forgé, doive être détruit au prétexte d’un internationalisme mal compris. Pour lui, comme pour Blanqui, les réalités et les notions de classe et de nation ne s’opposent nullement, et la défense de la nation, le patriotisme, lui semblent se trouver davantage du côté des classes exploitées que des classes exploiteuses. Les quelques extraits de textes de Guesde proposés ci-dessous en font foi.
CONGRES NATIONAL DU PARTI OUVRIER LIMOGES 1906
L’internationalisme suppose la formation de nations constituées
« On a parlé ici de nations comme de quelque chose, soit de purement artificiel, soit de purement réactionnaire. Mais les nations sont quelque chose de considérable dans l’évolution de l’humanité ; elles sont une étape sur la grande route de la patrie humaine. Et le rôle quelles jouent aujourd’hui ne sera pas épuisé demain. Je salue les nations constituées qui me permettent de parler, d’ores et déjà, d’internation et de percevoir et d’entrevoir et de poursuivre la nation unique de l’avenir. »
CONSEIL NATIONAL DU PARTI OUVRIER « AUX TRAVAILLEURS DE FRANCE ! » JANVIER 1893
Le collectivisme ne se réalise pas aux dépens des nations, mais à leur bénéfice
« L’internationalisme n’est ni l’abaissement, ni le sacrifice de la patrie. Les patries, lorsqu’elles se sont constituées, ont été une première et nécessaire étape vers l’unité humaine à laquelle nous tendons et dont l’internationalisme, engendré par toute la civilisation moderne, représente une nouvelle étape […] »
Les internationalistes sont les seuls patriotes, non les classes exploiteuses
« Nos adversaires de classe ont recours à la seule arme qui leur reste : la calomnie. Ils sont en train de dénaturer notre internationalisme comme ils ont essayé de dénaturer notre socialisme. Et, bien que ceux qui affectent de nous présenter comme des sans patrie soient les mêmes hommes qui, depuis un siècle, n’ont su que faire envahir et démembrer la patrie livrée par leur classe au banditisme de la finance cosmopolite […], pas plus que nous ne leur avons permis de confondre la solution collectiviste avec l’anarchie, cette caricature de l’individualisme bourgeois, nous ne les laisserons traduire notre glorieux cri de : vive l’Internationale ! par l’inepte hoquet de : à bas la France !
« En criant Vive l’Internationale ! ils crient Vive la France du travail ! vive la mission historique du prolétariat français qui ne peut s’affranchir qu’en aidant à l’affranchissement du prolétariat universel ! »
« Nous voulons donc – et ne pouvons pas ne pas vouloir – une France grande et forte, capable de défendre sa République contre les monarchies coalisées et capable de protéger son prochain 89 ouvrier contre une coalition, au moins éventuelle, de l’Europe capitaliste. »
La formation historique de la France nourrit le patriotisme des socialistes français
« Les socialistes français sont encore patriotes à un autre point de vue et pour d’autres raisons : parce que la France a été dans le passé et est destinée à être dès maintenant un des facteurs les plus importants de l’évolution sociale de notre espèce. »
« C’est la France qui, après avoir déchaîné sur le monde la Révolution bourgeoise, préface indispensable de la Révolution prolétarienne, a été le grand champ de bataille de la lutte de classe, mettant sans compter au service de la rédemption du travail ses héroïques insurgés de Lyon 1832, et de Paris 1848 et 1871. »
CONGRES NATIONAL DU PARTI OUVRIER LIMOGES 1906
Le but de la classe ouvrière : un régime social contre l’exploitation et la guerre
La guerre étant un des effets du capitalisme, il n’y a lieu, ni moyen de la combattre à part, elle ne disparaîtra qu’avec lui.
« On peut phraser contre la guerre, on ne saurait la supprimer dans une société basée sur les classes et leur antagonisme. »
« Lorsque j’entends parler d’insurrection à opposer à une guerre déclarée, […] je dis que s’il y a un seul moment où elle est impossible, c’est […] lorsque le péril commun fait taire toutes les autres préoccupations. […] Et cette insurrection que le prolétariat ne fait pas pour la reprise des usines, des machines et autres moyens de production […] vous lui en feriez un devoir seulement pour mettre sa peau à l’abri le jour de l’ouverture des hostilités ? Ce jour-là, il pourra bien y avoir des francs-fileurs, il n’y aura pas de révolutionnaires. »
« Si vous dites aux prolétaires que c’est pour le défendre [le capital] qu’ils vont se faire tuer, vous leur mentez. » « Demandez donc aux patrons, aux propriétaires, aux rentiers de l’Alsace s’ils ont perdu un seul centime à l’annexion [guerre franco-allemande 1870-71]. »
Notre devoir national, c’est de faire la révolution sociale chez nous
« En proposant un autre but [que celui du socialisme] à la classe ouvrière, on la détourne du véritable but […]. Ce qu’il faut dire au prolétaire, c’est : prends le gouvernement, chasse les bourgeois du pouvoir, et la guerre aura vécu. »
« Depuis 1848, le prolétaire a une patrie. Les usines, les mines, les chemins de fer, tout lui appartient, mais il n’a pas fait encore l’effort nécessaire pour entrer en sa possession. »
« Chaque prolétariat est comptable devant le prolétariat de tous les pays de sa bourgeoisie à lui. Quand, sous prétexte d’horizons plus vastes et d’action plus décisive, vous faites oublier à la classe son champ national, sa dette envers la classe ouvrière des autres nations, vous faites encore œuvre antisocialiste et antirévolutionnaire. »