Témoignage
Un éveil à la conscience politique
Mon enfance, ma jeunesse. Petite dernière d’une famille de cinq enfants, j’ai vécu une enfance paisible et modeste dans un quartier du Havre. Nous habitions un petit appartement accolé à la boucherie, où les clients « faisaient partie des meubles » !
Avant de prendre son commerce, mon père était salarié avec de longues journées de travail, et des conditions difficiles, alors à la quarantaine, il décide de se mettre à son compte.
Elève à l’école privée du quartier, je reçois une éducation catholique. La politique, je la découvre en écoutant le Général de Gaule devant le poste de télévision. Chez nous on avait du respect pour ce « grand homme ». Aussi, pendant les manifestations de mai 68, je ne comprenais pas pourquoi tous ces gens lui en voulaient alors qu’il avait libéré la France ! Il faut dire que toute mon enfance était bercée par les récits familiaux sur la Seconde Guerre mondiale.
Un couple de cousins venait souvent nous rendre visite, je les aimais bien. Lui était docker, sa femme, fille de docker. Elle me racontait souvent sa jeunesse difficile, où les repas étaient servis le plus souvent sans viande, contrairement à ma mère, fille de cadre, qui avait eu une enfance plus heureuse. Eux étaient de gauche, mes parents de droite, ils se disputaient donc tout le temps quand ils parlaient politique. Mon père disait qu’à cause du Front populaire et des communistes, il y avait eu la guerre. Je compris quand même que selon nos conditions, on n’était pas tous logés à la même enseigne! Je finis par prendre peur du communisme, mais cela n’alla pas plus loin concernant la politique…
Elève moyenne, mes études sont courtes, à dix-huit ans je deviens auxiliaire de puériculture et trouve mon premier emploi dans une pouponnière.
Mai 1981, aux élections présidentielles, je vote Giscard, comme mes parents. Mitterrand est élu !
Août 1981, arrivée dans la petite ville de G., je me cherche, je m’interroge. Je fais de nouvelles rencontres issues du milieu ouvrier, de l’immigration, et je reçois de nombreux témoignages aussi prenants les uns que les autres. Mes nouveaux amis ont tous voté Mitterrand (je me sens un peu seule!). Alors, me vient l’envie de connaître et de comprendre “le monde de gauche” ! Par le biais de mon travail, (je viens de rentrer dans la fonction publique), je rencontre le syndicalisme, la CGT, avec laquelle je fais quelques manifs, je ne me sens pas très à l’aise ! Puis viennent les cohabitations, avec les dégradations politiques, le début des replis communautaires, la chute du mur en 1991. J’essaie de comprendre, en posant des questions autour de moi, en suivant les débats télévisés, mais toujours pas de réponses. Je vois bien que l’on régresse et pourtant, il y a Mitterrand. Arrivent les grèves de 1995, je viens juste d’adhérer à la CFDT, alors je suis confrontée aux contradictions dans un même camp ! Quelle expérience difficile car pas assez de connaissances pour affronter “l’ennemi” (la CGT) ; et les élus locaux (les communistes) me demandant si je suis progressiste, je ne comprends pas ce que ça veut dire.
Cette première expérience avec la politique m’éclairera plus tard !
1998, je rejoins la troupe de théâtre de la MJC, le début des réponses… Je découvre le théâtre populaire, l’éducation populaire, le milieu associatif. Tout s’enchaîne au fil des pièces de théâtre qui me semblent très engagées et cela réveille ma peur du communisme, remet en question ma religion, mes croyances, mon éducation ! C’est confus dans ma tête, mais chaque pièce, chaque personnage interprété m’apporte des connaissances sur la vie des peuples à travers l’histoire, m’ouvre sur le monde et ses contradictions, me montre que l’oppression est universelle. Les mots commencent à prendre un sens. Maintenant pour moi, la peur change de camp, c’est celle du Capitalisme !
11 septembre 2001, éveil de la conscience politique. Comme tout le monde je suis terrifiée, est-ce un acte de guerre ? Quelques jours après, je participe à une réunion avec des amis de Germinal ou nous débattons de cet événement dramatique. Je repars avec un article qui fait l’analyse de ces attentats. Il est un peu compliqué, mais peu importe, il est très réaliste, il propose une vraie analyse sur la situation mondiale, il est porteur d’idée nouvelles, alors je m’y accroche à ce journal ! Puis j’en relis un autre, et encore un autre, et petit à petit, tout s’éclaire pour moi, puis je comprends enfin et définitivement qu’il faut étudier pour comprendre ce qui est bien pour nous, les gens du peuple, pour que notre vie soit meilleure. Vient alors comme une cerise sur un gâteau, le rôle de « La Mère » adaptée du roman de Maxime Gorki , pièce qui va révéler définitivement ma conscience politique !
Je conclurais ce témoignage, par le chant Éloge de l’instruction de Bertolt Brecht, interprété avec ma troupe de théâtre en 1998.
Apprends ce qui est simple,
Il n’est jamais trop tard
Il faut apprendre, le temps est venu !
Apprends ton ABC, ça ne suffit pas
Pourtant apprends le.
Sans perdre ton courage
Commence, tu dois tout connaître !
Car tu dois diriger le monde !
Car tu dois diriger le monde !
Apprends homme au chômage !
Apprends homme en prison !
Apprends femme en ta cuisine !
Apprends femme de soixante ans !
Car tu dois diriger le monde !
Car tu dois diriger le monde !
Va à l’école toi sans abri
pour le savoir toi qui a faim,
Toi qui n’a pas saisi le livre,
Prends le, c’est une arme !
Car tu dois diriger le monde !
Car tu dois diriger le monde !
N’aie pas peur des questions camarade,
Ne te fie à rien de ce qu’on dit
Car il te faut tout voir par toi même
Vérifie la somme c’est toi qui la paie,
Pose le doigt sur chaque somme
Demande : que vient-elle faire ici ?
Car tu dois diriger le monde !
Car tu dois diriger le monde !