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Vance Packard, La Persuasion clandestine, Paris, Calmann-Lévy (1958)

 

Dans le cadre de la concurrence existant entre producteurs de marchandises, ceux-ci ont de tout temps usé de publicité (réclame) pour écouler leurs produits sur le marché. Ces pratiques existaient au XIXe siècle, mais elles se perfectionnent dès le début du XXe siècle aux États-Unis, au milieu du siècle en Europe. Il s’agit toujours de persuader le consommateur final pour lui faire acheter un bien ou un service, mais les techniques de persuasion deviennent plus sophistiquées. Il faut requérir d’autres mobiles que les motifs rationnels liés à des besoins effectifs. Ceci en partie indépendamment du contenu de l’offre et des qualités utiles propres des produits à écouler. Il convient d’abord de «  stimuler le client  » en jouant sur des ressorts non rationnels.

C’est de cette évolution des ressorts de la publicité que traite le livre de Vance Packard, The hidden persuaders, publié dans le contexte du développement de la production capitaliste de masse. Celle-ci en effet implique une extension corrélative du marché, en vue de la réalisation de la valeur contenue dans les marchandises à promouvoir. À production de masse doit correspondre une consommation de masse. Il ne s’agit plus seulement de «  répondre  » à une demande sociale, il faut la susciter à grande échelle. Aux besoins utilitaires qui s’expriment, il faut adjoindre des besoins non encore formulés, les «  révéler  », voire les «  créer  », dans le but de susciter une demande à large échelle. Ceci par le biais de techniques de «  marketing  », qui jouent sur des motivations et mécanismes inconscients, aptes à persuader les consommateurs et les conduites à l’achat. C’est le début de la grande époque de la communication publicitaire, de «  la com  », de la mise en œuvre «  d’hameçons communicationnels  ».

L’accent se trouve porté sur la “recherche des mobiles”, ou motivations souterraines. Il s’agit de faire appel aux émotions, aux désirs subjectifs, au subconscient à l’inconscient.

«  La publicité peut devenir plus efficace si elle se concentre sur les problèmes émotifs, si elle prétend satisfaire au-delà des besoins physiologiques, à des besoins plus souterrains  : besoins, d’appartenance, de sécurité, d’estime, besoin de s’accomplir, sentiment de puissance.  »

L’extension de réseaux d’information orientés finira ainsi par immerger la conscience d’une grande partie de la population. Les techniques de marketing tendent en effet à faire prévaloir un certain conformisme social, tant à propos des pratiques de consommation que des comportements politiques. Elles ne tardent pas à s’appliquer à la communication politique, afin d’orienter les citoyens vers les bons choix, ici aussi en jouant sur des motivations plus ou moins inconscientes, hors de la rationalité. Vance Packard décrit ces mécanismes de manipulation affective et mentale mis en jeu et leur relatif succès. Il met en garde contre l’illusion qui consiste à penser que nous agissons de façon libre, en fonction de critères pleinement rationnels en matière de consommation, mais aussi en matière politique.

Le passage à l’acte du consommateur, comme celui du citoyen, se présentent comme étroitement lié à ses émotions. Dans l’un et l’autre cas, il s’avère que l’on consomme plutôt une image (image-marque d’un produit dans le domaine commercial (image d’un candidat en matière politique) que les qualités intrinsèques du produit (ou du candidat) lui-même.
L’émergence des grands médias (radio, télévision) vont élargir l’impact de ces processus d’influence et de persuasion, qui s’amplifieront encore avec l’expansion d’internet et des media sociaux. On peut toutefois s’interroger. Les consommateurs comme les citoyens sont-ils totalement dupes, sont-ils uniquement régis par leurs émotions dans leurs comportements d’achat ou de choix politiques se demande Dominique Desjeux. Se laissent-ils aller durablement à mordre aux «  hameçons  » de la com  ? Ou observe-t-on au contraire, que, dans la durée, une méfiance se développe vis-à-vis de la communication publicitaire, que celle-ci soit associée à une marchandise ou à un choix politique. Les consommateurs, les citoyens ne prennent-ils pas conscience de la divergence existant entre la réalité et l’image projetée par la communication (marchandise ou candidat). Selon Dominique Desjeux, une méfiance concernant des marques vantées par la «  com  » se faisait jour dès la fin des années 1970. À la suite de la crise économique de la fin des années 1990, qui affecte le pouvoir d’achat des consommateurs, cette méfiance serait devenue un sujet d’inquiétude pour les promoteurs publicitaires.

La montée de cette méfiance face à la réalité sociale effective pose à son tour la question de la toute-puissance réelle ou fantasmée de la communication, et des techniques de «  persuasion clandestine  » dénoncées par Vance Packard. N’y-aurait- il pas surévaluation de leur pouvoir, de la capacité des techniques de communication à dominer et manipuler durablement la population  ?

Pas plus que la communication publicitaire ne peut pallier les contradictions insolubles du régime économique (et politique), elle ne peut supprimer la prise de conscience de la réalité des choses. Le consommateur n’est pas un pur “être de désir”. Le rapport entretenu par la population avec la réalité (notamment parmi ceux dont le pouvoir d’achat est limité,) réduit fortement les facteurs de séduction de la «  persuasion clandestine  ». Les consommateurs de marchandises, comme ceux que l’on imagine simples consommateurs de politique ne sont sans doute pas durablement des protagonistes passifs.

 


 

Michel Callon, Laws of the Markets, Hoboken, Wiley, 1998.

Dominique Desjeux, la Consommation, Paris, Presses universitaires de France, coll. «  Que sais-je  ?  », 2006, et «  Le marketing entre cadrage, consommateur acteur et nouvelle émergence sociétale», in Marketing, Remède ou poison, 2013.

Thibaut Letexier, La main visible des marchés, La Découverte, 2022.

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