Deux poèmes autour de 1848
Charles GUERRE (*)
Le droit au travail
Fort de Vanves, 17 décembre 1848
Las de longs jours oisifs marqués par la souffrance,
Je vais reprendre enfin, dis-je, le tablier:
Mais un ordre nouveau trompe mon espérance,
Et m’offrant des secours me ferme l’atelier;
L’aumône m’humilie, il me faut un salaire
Chèrement acheté par le plus dur labeur.
Oui, pour de ma famille écarter la misère,
C’est le droit au travail que réclame mon cœur !
Des maux de l’ouvrier la paresse est la source,
Répète l’optimiste cuirassé d’argent;
Avare, vous mentez! si je suis sans ressource,
Le manque de travail en est l’unique agent ;
Ce n’est pas à plaisir qu’en repos je m’engraisse.
Quand j’ai gagné mon pain, il a plus de saveur,
Et je réponds, quand vous m’accusez de paresse,
Par le droit au travail que réclame mon cœur !
D’où vient que cette femme, et si jeune et si belle,
Vend par les carrefours ses appas tarifés ?
Pourquoi cet homme a-t-il une âme au bien rebelle,
Où tous les sentiments se trouvent étouffés ?
Affreuse vérité, tous deux doivent leur vice
Rien moins à leur penchant qu’au dégoût du malheur ?
Et vous pouvez du mal fermer le précipice,
Par le droit au travail que réclame mon cœur !
Vous dites la famille est dans le mariage.
Je le crois, mais combien, parmi nos jeunes gens,
N’osent pas contracter, redoutant le chômage
Qui rend trop incertain l’avenir des enfants;
Pour l’époux ouvrier, si peu de jours prospères
S’écoulent, qu’on ne voit son sort qu’avec terreur.
Otez donc à mes fils la crainte d’être père,
Par le droit au travail que réclame mon cœur !
Faute de débouchés, répétez-vous sans cesse,
Nos magasins remplis vont tour à tour fermer;
Si le capital fuit, que l’échange se dresse,
Pour nous faire produire il fera consommer;
Mes enfants sont nu-pieds, ma femme est peu vêtue,
Videz vos magasins payés de ma sueur.
Des vêtements plus chauds couvriront leur chair nue,
Et j’aurai le travail que réclame mon cœur !
(*) Charles Guerre était un ouvrier apprêteur pour dorures. Il participa à l’insurrection de juin 1848, passa le 10 mars 1849 en conseil de guerre et fut condamné à cinq ans de détention.
Pierre LACHAMBEAUDIE
Ne criez plus : à bas les communistes !
écrit après la défaite de l’insurrection de juin 1848
Quoi! désormais tout penseur est suspect !
Pourquoi ces cris et cette rage impie ?
N’avons-nous pas chacun notre utopie
Qui de chacun mérite le respect ?
Ah ! combattez vos penchants égoïstes
Par les élans de la fraternité ;
Au nom de l’ordre et de la liberté,
Ne criez plus : à bas les communistes !
Pour qui ces mots seraient-ils odieux :
égalité, Communisme, Espérance,
Quand chaque jour de l’horizon s’élance
Pour tout vivant un soleil radieux !
Ah ! croyez-moi, les cruels anarchistes
Ne sont pas ceux que vous persécutez ;
Ô vous surtout, pauvres déshérités,
Ne criez plus : à bas les communistes !
Quand des chrétiens réunis au saint lieu,
S’agenouillait la famille pressée,
Communiant dans la même pensée,
Grands et petits s’écriaient : Gloire à Dieu !
Frères, le ciel ouvre aux socialistes
Sa nef d’azur pour les rites nouveaux.
Pas d’intérêts, pas de cultes rivaux :
Ne criez plus : à bas les communistes !
Amis, la terre a-t-elle pour les uns
Des fruits, des fleurs; des ronces pour les autres !
D’un saint travail devenons les apôtres :
Tous les produits à tous seront communs.
Rassurez-vous, esprits sombres et tristes :
La nuit s’envole, espérons un beau jour ;
Si vous brûlez d’un fraternel amour,
Ne criez plus : à bas les communistes !
(*) Pierre Lachambeaudie a été employé au chemin de fer, puis ouvrier. Il fut d’abord lié à des courants utopistes, il rejoignit en 1848 le club révolutionnaire d’Auguste Blanqui. Arrêté après les journées de juin 1848, il fut élargi, puis de nouveau arrêté après le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte (futur Napoléon III), et exilé à Bruxelles.