Apologue
En conclusion, on peut dire que si la dissolution de l’Assemblée nationale a effectivement « éclairci » les données de la situation politique comme le requérait l’actuel président de la République, on constate qu’elle a surtout révélé celle-ci dans toute sa nudité ou plutôt son absolue “crudité”. Si l’on assiste bien à une décomposition au sein de la représentation nationale comme l’indique Jérôme Fourquet, celle-ci ne s’ouvre pas pour l’heure sur une recomposition. Le présent immédiat s’ouvre sur une « Assemblée ingouvernable », « un corps social [et politique] dysfonctionnel, comme si les différents organes n’étaient plus faits pour travailler ensemble » [[1]].
Le processus de déconstitution de la sphère politique qui s’est manifesté à l’occasion de la dissolution de l’Assemblée et des élections législatives de 2024 n’est pas un phénomène récent, la séquence actuelle a seulement conduit à le poser en perspective historique. La profonde dislocation de la sphère politique apparaît pour ce qu’elle est, elle donne à voir une disjonction, un divorce, disjonction entre les citoyens et les groupes (partis) censés les “représenter”, entre les attentes, aspirations, besoins, des différents éléments de la population et les orientations proposées, ou plutôt leur carence, réalité que mettent au jour plusieurs études et sondages, études qui viennent conforter le sens des quelques observations que nous avons recueillies auprès de citoyens locuteurs référents [[2]].
Céline Bracq, directrice générale d’Odoxa, propose en ce sens une synthèse du sondage Odoxa/Blackbone Consulting : l’affirmation selon laquelle les Français seraient “dépolitisés” lui paraît trop hâtive. Une majorité d’entre eux déclare en effet s’intéresser à la politique (56 %), ceci avec une certaine constance depuis plusieurs années. L’intérêt se révèle plus soutenu pour les plus âgés (66 %). Et aussi pour ceux qui affichent une proximité partisane avec un pic pour les sympathisants socialistes (76 %).
Cet intérêt pour la politique est toutefois généralement déconnecté de l’opinion qu’on porte sur les Partis politiques, 82 % des “sondés” en ont une mauvaise opinion. Parmi les reproches qui leur sont adressés : manque d’honnêteté (90 %), de crédibilité (85 %). On leur reproche d’être éloignés des préoccupations des Français (85 %), pas capables de proposer des solutions efficaces (81 %).
La désaffiliation (et la désaffection) à l’égard des partis aurait, selon Céline Bracq, explosé en 2017 avec l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, conduisant de nombreux Français à la recherche de formes alternatives d’engagements. Il faut remarquer à cet égard que l’élection d’Emmanuel Macron réfractait déjà elle aussi un processus de désaffiliation à l’égard des partis en place [[3]] (Parti socialiste, et hier Parti communiste, partis se réclamant du gaullisme). Concernant les élections, les électeurs manifesteraient une certaine lassitude à l’égard des convocations électorales, sans doute en relation avec le fait que leur voix ne paraît avoir aucune influence réelle sur les décisions politiques. Il est en conséquence reproché aux partis d’être trop centrés sur les élections (72 %), pour leur propre compte et sans doute au détriment des préoccupations de la population et des intérêts du pays.
Dans l’immédiat, on peut se poser des questions simples : Qu’est-ce qui fait défaut aujourd’hui pour qu’une vie politique digne de ce nom puisse prévaloir ou se reconstituer ? Faut-il imputer à la base de la société, aux citoyens, ou à ses sommets la “faute” de sa décomposition ? La “faute” réside-t-elle dans le peuple, le populisme, la stupidité congénitale, ou l’absolue incompétence politique des citoyens électeurs ? Non.
Si depuis quatre ou cinq décennies, la réalité économique et la disposition des forces de classes se sont trouvées profondément transformées, dans leur dépendance à un contexte international régi par le mouvement immanent du Capital, ce qui fait le plus défaut dans la situation actuelle ressort de l’absence de toute orientation politique générale, aucune orientation n’étant plus portée par les différents partis, ou organisations. L’essor vertigineux du Rassemblement national (et sans doute aussi des Insoumis) est aussi le fruit d’un tel abandon. Ce qui fait tragiquement défaut ce sont des orientations organisatrices, fondées sur une analyse des situations historiques toujours en mouvement, analyse qui seule permet de dresser des perspectives unificatrices pour toute la société – et non catégorie par catégorie, lieu partiel par lieu partiel.
Ou pour rester dans la langue de la marchandise, ce n’est pas la “demande” d’orientation politique générale qui fait défaut, ce qui fait défaut ce sont des “offres” politiques cohérentes se situant au regard du nécessaire et du possible.
1. Jérôme Fourquet, référence citée.
2. Voir le sondage Odoxa/Blackbone Consulting et le Rapport 2004 du Conseil Économique, Social et environnemental.
3. Dans de prochaines publications, Germinal s’efforcera de retracer ce processus de déconstitution de la “chose politique” et de ses déterminations, en s’interrogeant sur l’évolution des conjonctures socio-politiques concrètes, depuis la fin de la “Deuxième Guerre mondiale”, en France et dans le monde.