Au service de la défense et de l’indépendance nationale : un homme, un peuple, De Gaulle au présent.
Textes choisis et présentés par Henri Guaino
Blanqui et Guesde portaient l’accent tout à la fois sur l’importance du maintien du cadre historique de la nation et sur l’existence de contradictions de classes au sein de ce cadre. Ils mettaient aussi au premier plan le rôle des classes populaires dans la défense progressiste de la nation. Pour Henri Guaino, il semble que le rapport classe/nation ainsi posé se présente comme inadéquat. Dans un entretien de 2012, avec Marc Cohen, il tenait à indiquer :
« Pourquoi faire des distinguos [entre classes]. »
« Je n’ai jamais aimé cette notion de classe […]. Cherchez la conscience de classe, vous ne la trouverez pas. Cherchez le sentiment national et vous le trouverez. » [1]
Dans son ouvrage, De Gaulle au présent, l’auteur semble de la même façon mettre entre parenthèses l’existence de contradictions sociales au sein de la nation. Il ne pose pas le lien entre classes populaires et défense de l’indépendance nationale, lui préférant l’idée de nation seule, en quelque sorte « au-dessus des classes », bien qu’identifiée à un peuple socialement mal défini. L’intérêt de l’ouvrage n’en est pas affecté. Il pourrait attester que si le capital n’est pas, par nature, national ou “patriote”, on doit reconnaître que des représentants de la classe bourgeoise, tels De Gaulle, peuvent dans certaines conditions historiques se révéler de fervents défenseurs de la nation et de son indépendance. Ce qui ne signifie pas que le maintien d’une telle indépendance puisse se réaliser sans le solide appui des classes populaires.
Le livre comprend un texte de présentation, une chronologie et un jeu de citations. D’entrée de jeu, l’auteur précise son intention et sa préoccupation :
« Comment la pensée d’un homme d’État né au xixe siècle pourrait-elle être utile à un Français vivant au début d’un xxie siècle dans l’obsession du présent ? »
Signalons d’abord que pour Henri Guaino, le gaullisme est à considérer comme « une histoire » que l’on peut diviser en cinq périodes :
1/ L’entre-deux-guerres : “De Gaulle milite, en vain, pour la modernisation des doctrines d’emploi de l’armée française”.
2/ La Seconde Guerre mondiale, la France libre, la Résistance.
3/ La Libération, la restauration de l’État et de la souveraineté de la France jusqu’en 1946.
4/ Le combat politique, le Rassemblement du Peuple Français, la traversée du désert.
5/ La Ve République qui s’achève en 1969 avec le référendum perdu.
On retiendra quelques points saillants de l’ouvrage.
En premier lieu, précise Henri Guaino « le gaullisme n’est pas une religion », la pensée qui l’anime lui semble étrangère à tout dogmatisme, « pensée vivante qui se nourrit de l’épreuve et de l’expérience ».
À propos du rôle joué par de Gaulle et la façon dont il le concevait, l’auteur insiste sur une idée, selon lui essentielle dans tout le cours de l’histoire de France, celle des « deux corps du roi : le corps humain périssable, transitoire, et le corps symbolique, qui ne meurt jamais parce qu’il incarne la continuité de l’État ».
« La France, vieux pays monarchique […] a besoin d’incarnation. Elle a besoin de se reconnaître dans des personnes ».
De Gaulle est pénétré de cette idée. La France
« est un grand corps dont la politique, luttant contre la nature, a réuni les membres et qui a toujours besoin d’un visage ».
De Gaulle
« s’inscrit dans la longue série de ces personnages de l’histoire qui ont donné à la France des visages, parfois imaginaires, dans lesquels elle a reconnu les traits de sa grandeur, [il incarne] cette continuité mythique de l’État ».
La “grandeur” est aussi un maître mot, « mot gaullien par excellence » qui le « maintiendra toujours au-dessus des petits arrangements de la politique politicienne, non qu’il répugne à la ruse, aux habiletés et aux manoœuvres, encore faut-il qu’ils soient au service d’une grande cause. »
Nourri de l’histoire des destins exceptionnels, qui personnifient le but à atteindre, de Gaulle incarne l’espérance,
« l’homme de caractère dont les vertus se révèlent dans les circonstances exceptionnelles et qui est mal à l’aise dans les temps ordinaires ».
Ce qui n’est pas sans évoquer l’Albatros de Baudelaire : « Exilé sur le sol au milieu des huées, ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »
Garante de l’unité nationale, l’idée monarchique s’était construite sur
« l’alliance directe entre le peuple et le souverain contre les féodalités ».
L’État doit en effet dominer les féodalités. Celles-ci aujourd’hui
« ne sont plus dans les donjons, mais dans les syndicats, dans les partis, dans les médias, dans certaines institutions, dans des groupes de pression, des minorités agissantes. Ce sont ces corps intermédiaires, politique, militaire, économique, qui doivent donner l’exemple des plus grandes vertus »,
mais ils ont, au cours de l’entre-deux-guerres, failli à tous leurs devoirs.
De « ces naufrages », de Gaulle tirera des leçons institutionnelles et politiques : nécessité de l’élection du président de la république au suffrage universel, référendum populaire, parlementarisme rationalisé, nécessité d’un rapport direct avec le peuple, conviction que c’est dans le peuple seul que réside la souveraineté. Des leçons morales sont aussi dégagées : la conscience que l’histoire lui a donné une
« légitimité particulière pour incarner cette souveraineté et que cette légitimité ne lui crée que des devoirs et aucun droit ».
De Gaulle incarne ainsi la souveraineté française, comme « monarque républicain, sans couronne, sans droit divin, sans hérédité ». Et cette souveraineté doit périodiquement ressourcer sa légitimité dans la confiance du peuple. Toutefois cette confiance ne doit pas reposer sur la flatterie. Dans ses appels au peuple, il
« ne fait pas vibrer la corde de l’émotion. Tous ses appels au peuple sont des appels à la responsabilité de chacun. »
Henri Guaino formule un jugement d’ensemble sur de Gaulle. Homme de son temps, il « n’est pas à gauche, il n’est pas à droite », pour lui ce qu’il incarne, c’est la France, « c’est tous les Français ». Il n’est ni “réactionnaire” [refaire l’histoire à l’envers], ni “conservateur” [défense de l’ordre établi]. Il ne conçoit pas le mouvement sans ordre et réciproquement. Toujours il n’envisage d’agir qu’en « partant des réalités », sans confondre toutefois « la mode et la modernité ».
« La modernité gaullienne, c’est la conviction qu’il faut prendre le monde tel qu’il est, pour y jouer un rôle, rôle qui pour la France ne peut être que le plus éminent. »
De Gaulle s’inscrit pour Henri Guaino dans la grande tradition des “modernisateurs”, tel Napoléon (pour l’État), Lyautey (pour les colonies), Colbert (pour l’économie). Il s’affirme colbertiste, en ce sens il affirme « qu’à côté du marché et de l’intérêt personnel, l’État a un rôle à jouer ». Le colbertisme, c’est « l’État modernisateur et entrepreneur », l’État « qui complète l’initiative privée, qui prend son relais lorsqu’elle est défaillante ». L’économie n’est pas tenue à l’écart de la politique.
« Il cherche tout le temps à faire la part des choses entre ce sur quoi il peut agir et ce qui ne dépend pas de sa volonté ».
Si de Gaulle parle de « l’ardente obligation du Plan », c’est pour répondre aux exigences, aux défis de son époque.
Le gaullisme est un volontarisme qui s’inscrit dans « l’ordre du souhaitable et du possible ». La politique gaullienne
« regarde la politique comme l’irruption de la volonté humaine dans l’histoire, opposée à tous les déterminismes, à toutes les servitudes ».
L’État dans ce cadre a un rôle décisif à jouer, pour dépasser les contingences de la conjoncture, se fonder sur ce qui est inscrit dans l’histoire d’un peuple dans la très longue durée. Le jugement que de Gaulle porte sur le régime capitaliste se pose en relation avec le rôle qu’il assigne à la volonté politique. Pour lui,
« le capitalisme, avec sa puissance créatrice de richesses et de progrès de toutes sortes, n’a pas d’avenir si on le laisse sans frein et sans règle ».
D’où ses tentatives d’ouvrir « une troisième voie où se trouveraient corrigés les défauts du capitalisme et ses injustices, sans tomber dans les défauts du socialisme et du collectivisme ».
Enfin, selon Henri Guaino, quoi qu’on ait pu en dire, « le gaullisme est inséparable de la démocratie et de la République ».
Il s’agit d’exercer la souveraineté, non de la confisquer.
En guise de conclusion Guaino pose la question de « l’actualité du gaullisme ». Face aux « périls vertigineux qui menacent le monde en ce début du xxie siècle », le gaullisme ne serait-il pas ce qui manque le plus le plus à la politique aujourd’hui ?
- 1. Henri Guaino, entretien avec Marc Cohen, Causeur, 15 février 2012.↵