etudes, notions théoriques

courants de pensée

analyses

pages d'histoire

questions que l'on se pose

enquête, témoignage

poèmes

biographies

DOSSIER : L’unité de la nation, le peuple, les classes sociales

 

Quatre contributions pour ce dossier  :
–  En «  temps d’orage  » et de guerre civile . La souveraineté, axe constitutif de la république. L’analyse de Jean Bodin (1530-1596)
–  Nation, classes, lutte de classes, dans le Manifeste du parti communiste de Marx et Engels (1848)
–  Auguste Blanqui (1805-1881). La légitimité de la nation revient aux classes populaires
–  Jules Guesde (1845-1922)  : Classe ouvrière, nation, patriotisme, internationalisme

 

Le rapport nation, classes, lutte de classes

On commencera par présenter brièvement les trois dernières contributions, celles qui concernent le rapport entre classes et nation. On abordera ensuite la question de la formation historique du cadre national nécessaire au processus d’unification tant des classes sociales [classes “pour soi”] que du peuple dans son ensemble.

Sur la base d’une citation extraite du Manifeste du parti communiste  : «  L’histoire de toutes les sociétés qui ont existé jusqu’à aujourd’hui a été l’histoire de lutte de classes  », nombre de commentateurs, tels ici Henri Lefebvre, ont tiré la conclusion suivante  : Marx aurait «  nié la nation au profit de la lutte de classes  ».

Comme l’a souligné l’historien Pierre Vilar, l’importance accordée à la lutte entre classes sociales cette formule du Manifeste, ne vaut pas pour négation des formations nationales, qui relèvent elles aussi de l’histoire, tout comme l’existence de luttes historiques entre d’autres formes de groupements humains  : les nations, les Empires, les “superpuissances”, etc.

 

«  Toute l’œuvre de Marx et Engels témoigne contre cette interprétation abusive du primat des luttes de classes dans l’histoire  ».

 

Poursuivant sa lecture attentive du texte du Manifeste, Pierre Vilar analyse les rapports entre nation, et classes et lutte de classes dans le cadre du capitalisme et dans la perspective du socialisme. Il établit, que le fait national peut être assumé par des classes successives et «  changer de sens  » suivant la classe qui l’assume  : la bourgeoisie lors de sa phase d’ascension contre le morcellement féodal, le prolétariat lorsqu’il révolutionne la société capitaliste et édifie le socialisme.

Si les formations nationales sont des produits et des formes politiques de l’époque bourgeoise d’évolution des sociétés, le capitalisme en développant le marché mondial, brise les barrières nationales, et finit par déconstituer les nations elles-mêmes. D’une certaine façon, c’est moins la bourgeoisie, en tant que classe –  dans le champ historique et politique  – qui tend à détruire le fait nation, que le mouvement économique immanent du capital qu’elle a déchaîné, mais ne maîtrise pas.

Contre ce processus de déconstitution, c’est au prolétariat, que revient la prise en charge de la nation, non pas parce qu’il élimine ce qui est international, mais «  parce qu’il réalise l’universel bridé et nié par le capital  » 2. En sachant que la formation d’un cadre national par la classe bourgeoise, a préparé les conditions politiques d’une telle prise en charge, les conditions d’une action unitaire pour les classes prolétariennes.

C’est à cette conception des rapports entre classes et nation que s’attachent deux dirigeants socialistes historiques, Auguste Blanqui et Jules Guesde. Tous deux portent un intérêt particulier au positionnement des classes sociales (bourgeoises et prolétariennes) dans la formation historique de la nation, pour sa défense ou son démembrement. Pour eux, les réalités et les notions de classe et de nation ne s’opposent nullement, et la défense de la nation se trouve davantage du côté des classes exploitées que d’un capital livré à son propre mouvement.

 

Le cadre national comme condition de l’unification du peuple

Dans un premier temps, on a proposé un éclairage d’ensemble sur les conceptions de trois auteurs socialistes et communistes du XIXe siècle touchant au rapport entre classes et nation. Faisant retour à la première contribution, c’est à la question des conditions de l’unification politique du peuple en nation, qu’on s’attachera, en sachant qu’il s’agit de ­conditions sine qua non pour l’expression de ses perspectives historiques, face à toute la société.

Pour les auteurs précédemment consultés, c’est dans le cadre de nations historiquement constituées que les intérêts historiques des classes populaires peuvent être formulés et projetés. Lorsque le cadre national est en voie de déconstitution, comme cela se produit avec la domination mondiale du régime capitaliste, cette déconstitution ne relève pas d’une lutte des classes au sens historique du terme, mais des effets de ce régime qui tend à supprimer les nations historiques, en même temps qu’il tend à dissocier les unités sociales, de classe, au profit de la lutte de tous contre tous, du “chacun pour soi” pour des intérêts partiels, économiques ou identitaires, en opposition.

Dans une conjoncture historique fort différente de la nôtre, c’est à de tels problèmes que s’est trouvée confrontée la France du XVIe siècle, en proie à des facteurs de dissociation violente  : luttes d’intérêts entre clans féodaux, entre factions se réclamant de telle ou telle religion, entre corps et catégories visant à la défense de “lois privées” (privilèges) contre l’intérêt public, contre le processus d’unification en construction. Toutes ces divisions étaient attisées par des puissances étrangères.

C’est dans ce contexte que Jean Bodin (1530-1596) publie Les Six Livres de la république. Cet ouvrage dresse les contours d’un cadre politique capable de réaliser l’unification du peuple et de la formation nationale, contre ses facteurs de destruction, internes et externes. Du point de vue d’une théorie générale de la formation des nations, une telle unification n’exclut nullement la lutte pour faire prévaloir des perspectives sociales de classes. Cette question toutefois, dans sa signification contemporaine, n’est pas alors à l’ordre du jour, si l’on exclut la lutte de la royauté et de la bourgeoisie contre les classes relevant de l’ordre féodal. Ce qui est à combattre, est la division de la nation en grandes factions qui fracture l’unité en construction du peuple  –  on parlerait aujourd’hui de “séparatismes” avant la lettre. Ceci d’autant que la sécession du pays par ces menées factieuses favorise la conquête extérieure. Brandissant les «  torches de la discorde  », elles attisent selon Jean Bodin, les passions particulières, allumant partout «  le grand feu de la sédition  ».

Un commentaire ?