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Edward Bernays, Propaganda – Comment manipuler l’opinion publique en démocratie

 

Quand, en 1928, paraît aux États-Unis Propaganda, son auteur, Edward Bernays, a déjà à son actif plusieurs promotions réussies en matière d’influence dans le domaine du spectacle, comme les Ballets russes en 1915 ou dans le registre politique, comme l’entrée en guerre du pays en 1917. Point commun entre ces deux réalisations  : l’opinion publique était a priori hostile au premier comme à la seconde, les deux fois il l’a retournée.

Depuis la fin du XIXe siècle, la production de toutes sortes de marchandises connaît un essor formidable, ce qui accroît la concurrence entre manufacturiers désireux d’en réaliser la valeur  : la production de masse «  n’est rentable que pour autant qu’elle soutienne son rythme, autrement dit continue à vendre ce qu’elle fabrique en quantité constante ou croissante  ». En conséquence, poursuit Bernays, c’est la demande qui doit désormais s’adapter à l’offre, et non l’inverse  : «  Un industriel potentiellement capable de fournir un produit précis à tout un continent ne peut pas se permettre d’attendre le client  ». Toute ressemblance avec des faits existants serait fortuite ou involontaire  : en 2021, un célèbre manufacturier de vaccins offre un produit qui doit trouver ses clients.

Depuis la fin du XIXe siècle aussi, les «  masses populaires  » se dotent de relais syndicaux et politiques, suivant des orientations diverses mais structurantes. Les États-Unis de Bernays connaissent un «  âge doré  » (Gilded Age) de l’industrie, favorable à la concentration de capitaux et à la formation de monopoles, à la tête desquels se trouvent les aciéries Carnegie, la Standard Oil de Rockfeller ou les chemins de fer Vanderbilt. C’est l’époque de fraudes massives, révélées par les lanceurs d’alerte de l’époque, les muckrackers (littéralement, déterreurs de scandales), qui suscitent le rejet de l’opinion publique. Les grèves et manifestations sont nombreuses, et férocement réprimées. Devant cette irruption des masses dans la vie publique, les grands trusts se voient obligées de modifier leur communication pour entraîner le public dans le sens de leurs intérêts (Préface de Normand Baillargeon). C’est dans ce contexte que Bernays commence son ouvrage Propaganda  : «  le suffrage universel et la généralisation de l’instruction sont ensuite venus renforcer ce mouvement [de transfert d’autorité de l’aristocratie à la bourgeoisie], au point qu’à son tour la bourgeoisie se mit à craindre le petit peuple, les masses qui, de fait, se promettaient de régner  ». Alors notre propagandiste de poursuivre, «  aujourd’hui, pourtant, une réaction s’est amorcée. La minorité a découvert qu’elle pouvait influencer la majorité dans le sens de ses intérêts. Il est désormais possible de modeler l’opinion des masses pour les convaincre [de s’engager dans la voie] nouvellement acquise dans la direction voulue  » (idem). La presse catholique, qui au même moment parlait de faire rentrer les flots des aspirations populaires dans le lit d’une rivière, n’aurait pas renié ces propos. Toute ressemblance avec des faits existants serait fortuite ou involontaire1. Contre les idées d’une partie des Lumières, tenantes d’une opinion libre et éclairée, la «  voix du peuple  » n’est pour Bernays «  que l’expression de l’esprit populaire, lui-même forgé pour le peuple par des leaders en qui il a confiance et par ceux qui savent manipuler l’opinion publique, héritage de préjugés, de symboles et de clichés  ». Quant à l’individu, sa décision est conditionnée par un «  mélange d’impressions gravées en lui par des influences extérieures qui contrôlent sa pensée à son insu  ». On est loin de la ligne de conduite des Lumières selon Kant (1784)  : Qu’est-ce que les Lumières  ? La sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement (pouvoir de penser) sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même (pour partie) responsable puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere aude  ! (Ose penser  !). «  Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des Lumières  ».

Cette nouvelle propagande, utile au commerce comme à la politique, ne doit plus être frontale. Oubliés les «  Achetez mon produit  » ou «  Votez pour moi  ». «  La propagande moderne désigne un effet – selon l’auteur – cohérent et de longue haleine pour susciter ou infléchir des événements dans l’objectif d’influencer les rapports du grand public avec une entreprise, une idée ou un groupe  ». Elle est à la charge de professionnels, de techniciens, les conseillers en relations publiques, les véritables dirigeants, invisibles, d’une société démocratique, dont la tâche est, par ordre, d’analyser le problème soumis par le client  ; de cerner le public potentiel  ; sur la base des deux premiers points, de formuler une ligne de conduite  ; de veiller à couper court à toute mésinformation pour «  établir une confiance si solide dans l’intégrité de son client que les rumeurs et la suspicion n’auront plus d’espace où se déployer  ». Toute ressemblance avec des faits existants en 2021 serait fortuite ou involontaire  : le problème est pour le manufacturier de vaccins de vendre son produit à un public potentiel  : l’ensemble de l’humanité  ; la ligne de conduite consisterait à l’effrayer et à la contraindre  ; tout doute exprimé contre le produit était balayé ou discrédité publiquement.

Sur quels ressorts joue cette «  nouvelle propagande  »  ? Sur le groupe. Le groupe modifie les mobiles de l’action humaine  : «  La vapeur qui fait tourner la machine sociale, ce sont les désirs humains. Ce n’est qu’en s’attachant à les sonder que le propagandiste parviendra à contrôler ce vaste mécanisme aux pièces mal emboîtées que forme la société moderne  ». Ce principe est applicable au commerce comme à la politique  : «  en politique, les méthodes de la propagande ne sont efficaces que sur les électeurs qui opèrent leur choix en fonction des préjugés et des attentes du groupe dans lequel ils se reconnaissent  »2.


 

1. En 2021, un célèbre manufacturier de vaccins eut besoin, pour trouver ses clients, de ce travail d’influence, de modelage  : la nouvelle propagande. À l’été 2021, le gouvernement français, jouant des ressorts d’une propagande médiatique a opéré un travail d’influence sur un peuple considéré comme un enfant, jouant sur des désirs profonds et sur la peur liée de la pandémie.

 

2. Dans le cas d’une épidémie ou d’une menace de guerre, on peut jouer sur le désir de retrouver une «  vie normale  », de voir s’éloigner la maladie ou la mort, processus de conditionnement par la peur. Les autorités politiques créent alors des «  circonstances qui [v]ont ordonn[é] l’enchaînement des pensées  ».

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