L’élection de François Hollande est-elle une victoire pour les classes populaires ?
L’élection de François Hollande ne semble pas avoir correspondu à une adhésion unanime à la politique qu’il se propose de mettre en œuvre. Pour beaucoup de ceux qui se sont prononcés pour lui au second tour, notamment les classes les plus touchées par les effets de la crise, ce vote valait surtout comme exutoire visant à exprimer tous les mécontentements accumulés. Comme si l’on préférait imputer tous les malheurs subis à un seul homme, le précédent président de la République, Nicolas Sarkozy, plutôt que de se trouver contraint de voir en face la gravité de la situation dans laquelle se trouve le pays, comme l’ensemble du monde capitaliste. Maintenant que l’ancien Président a été battu, de façon très honorable d’ailleurs, il n’est plus là pour servir d’écran, la réalité doit être regardée pour ce qu’elle est, et la lucidité à cet égard constitue un facteur décisif pour que les classes populaires puissent reconquérir l’initiative historique, en fonction du possible, et non pas seulement en fonction de leurs rêves.
Jetons maintenant un coup d’œil sur le résultat des élections présidentielles pour apprécier le degré d’adhésion des classes populaires à la candidature de François Hollande. Celui-ci l’a emporté avec 51,63 % des suffrages exprimés, soit un peu plus de 18 millions de voix, sur 37 millions de votants. Compte tenu des votes blancs, très importants au second tour (plus de 2 millions, 5,8 % des inscrits), seulement 48,64 % des votants se sont ainsi prononcés pour lui, ce qui laisse la place à encore beaucoup de mécontents, qui ne sont pas tous des “riches”. Si l’on prend maintenant le nombre d’inscrits sur les listes électorales (un peu plus de 46 millions), on constate, vu le nombre des abstentions, que finalement seulement 39,1 % du corps électoral a porté son choix sur le nouveau Président. Cela certes n’est pas une nouveauté dans les scrutins électoraux, mais compte tenu du nombre record de votes blancs ou nuls, on ne peut pas affirmer que le candidat a recueilli l’adhésion majoritaire de la population.
Cet état de fait conduit à poser une autre question : les classes populaires ont-elles remporté une victoire le 6 mai ? Dans son fond, cette question est à considérer par rapport au contenu de la politique envisagée pour le pays dans la situation du pays, et non au regard du nombre d’électeurs de ces classes qui ont choisi de voter pour le candidat Hollande. Il ne peut y avoir de victoire pour les classes populaires que lorsqu’une politique est conduite pour la nation elle-même, qu’elle correspond au bien commun, ou du moins à ce que l’on peut espérer de mieux, dans des conditions concrètes données. Toutefois, dans la mesure où la gauche a tendance à se présenter comme « représentant » les préoccupations des classes populaires, accusant la droite (et plus encore Nicolas Sarkozy) de ne représenter que les riches, il est intéressant de se demander quelles catégories sociales ont vraiment « choisi » le candidat Hollande. En la matière, on constate que l’opposition ne se rapporte nullement au schéma des pauvres contre les riches, pas plus qu’elle n’a à voir avec une lutte « classe contre classe ». Les résultats du vote révèlent plutôt un clivage entre catégories sociales dans une société capitaliste ayant développé un large secteur non directement soumis aux aléas du monde marchand capitaliste. L’électorat de François Hollande ne regroupe pas les plus pauvres, mais un fort pourcentage de catégories qui échappent pour partie à ces aléas, des classes de la société relativement aisées : cadres, professions libérales, « professions intermédiaires », parmi celles qui ont le meilleur niveau d’études, et se rencontrent plus spécialement au sein du secteur public, où près de 70 % des électeurs se sont prononcés pour lui. Alors qu’il n’a recueilli qu’environ 30 % des voix des travailleurs du secteur privé, qui sont « à leur compte » (artisans, commerçants, agriculteurs), qui ne sont sans doute pas plus “aisés”, ni moins “populaires” que les professions libérales et cadres du privé et du public.
Il est vrai qu’au second tour, une proportion importante d’ouvriers et d’employés ont voté pour François Hollande (autour de 55 %). Il n’en était pas de même au premier tour. Certes les employés avaient voté à 28 % pour lui (un peu au-dessous de son score moyen), mais les ouvriers seulement pour 24 % (nettement en-dessous de son score moyen), un nombre important d’ouvriers ayant voté (à 31 %) pour Marine Le Pen, et à gauche (à 15 %) pour Jean-Luc Melenchon et le Parti communiste qui représentait le gros du bataillon. L’essentiel de la clientèle de François Hollande, telle que la révèle ce premier tour, regroupe les professions intermédiaires, les cadres, les professions libérales (64 % de son électorat), ceux qui ont le meilleur niveau d’études, bac + 2, ou au moins bac +3 (63 %), ce qui ne représente pas vraiment le “petit peuple”.
Bien entendu, les orientations développées pour une élection présidentielle sont censées se centrer sur la politique de l’ensemble de la nation, non sur les promesses faites à telle ou telle clientèle. On n’a donc pas à les départager en fonction du type de soutien électoral que recueille tel ou tel candidat (cela est vrai pour l’adversaire de François Hollande, Nicolas Sarkozy, comme pour les autres candidats). Il importe ainsi, pour un citoyen, de fonder son jugement sur les propositions que l’on estime les plus favorables, ou les moins défavorables, pour l’ensemble de la nation, dans des conditions historiques données.