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Crise du capitalisme et sens des luttes menées par les travailleurs

L’exemple du Nord : décembre 2008 mai 2009

Fermetures d’entreprises, chômage partiel, licenciements, luttes sociales, ces faits recensés dans la Voix du Nord de décembre 2008 à fin avril 2009, confirment l’existence d’un mouvement de régression généralisée. Au-delà de ce constat, on est conduit à s’interroger sur les raisons de l’évolution de la situation depuis quelques décennies, avec le point culminant de la crise actuelle. Si le régime capitaliste connaît depuis le début de son existence des crises périodiques, celle-ci se présente, un peu comme celle de1929, comme une crise d’ensemble du régime capitaliste.

Causes capitalistes de la crise

Dans la Voix du Nord, les manifestations de la crise sont évoquées à propos d’une fromagerie du bocage à Maroilles, celle-ci est rapportée à un « manque de trésorerie » qui rendrait nécessaire une « restructuration », façon de dire qu’il faut procéder à des licenciements. Pour éviter le dépôt de bilan, on y fait appel à de l’argent privé et intercommunal. Plus généralement, dans la plupart des faits recensés, on admet que la crise résulte d’une « surcapacité » productive, autrement dit qu’il s’agit d’une crise de surproduction capitaliste. Journalistes, dirigeants d’entreprise, syndicalistes ou salariés interviewés parlent de « baisse d’activités », « forte baisse d’activité ». Au regard de la « production », on parle aussi de « baisse des volumes de production ». Enfin, avec la formulation « baisse des ventes », c’est l’impossibilité de réaliser la valeur des marchandises (et donc aussi la plus-value) qui est signalée. On parle aussi de « baisse des commandes », « baisse du carnet de commandes », ou, exposant le caractère imprévisible, inattendu et profond de la crise, de « chute vertigineuse des commandes ».

La concurrence mondiale, inhérente au régime capitaliste, se présente comme une autre facette de cette crise générale de surproduction. La société Cabanon à Dunkerque, fabricant de tentes, « confrontée à une forte concurrence asiatique », a « déposé le bilan », elle attend un repreneur. Les rapports de concurrence dans la course à un marché qui se rétrécit peuvent opérer au sein d’un même groupe, comme dans le cas de Continental. L’unité de production de Clairoix (1120 salariés) étant présumée avoir des « coûts » de production « plus élevés ». Un porte-parole de la division pneus évoque le problème ainsi : « C’est dommage, tout le monde a fait ce qu’il pouvait […] mais de facto, au regard de la concurrence entre les sites, ce n’était pas assez ». Il est vraisemblable cependant que d’autres facteurs jouent aussi, et que les sites français aient à assumer plus lourdement que d’autres sites les effets de la crise de cette entreprise allemande.

Dans cette situation de crise généralisée, le marché est « engorgé » (comme on le disait au XIXe siècle), en conséquence le capital, seul possesseur des grands moyens de production sociaux, « chôme ». Par suite les travailleurs, qui ne disposent pas des moyens de production, doivent chômer eux aussi. Le régime marchand capitaliste en crise, révèle ainsi la contradiction fondamentale qui le mine. Dans la mesure où la production des richesses doit passer par « le détour du capital », le caractère social de la production, ne peut être reconnu. Les forces productives matérielles et humaines qui coopèrent en vue de produire des biens utiles à tous, sont inutilisées ou détruites.

L’industrie automobile, secteur exemplaire d’une surproduction considérable tente de recomposer ses facteurs constitutifs. Les producteurs subissent les effets de cette recomposition. « A Sevelnord, 350 salariés sont conviés à quitter l’usine » titre la Voix du Nord du 27 janvier 2009. Selon le directeur du site : « il faudrait faire partir le double de salariés pour compenser la baisse [des commandes]. On veut préparer l’avenir, mais il nous est difficile d’imaginer le marché dans trois mois ». Aveu révélateur, les lois du régime de production et d’échange ou « les lois du marché » agissent sans que puisse véritablement s’exercer un contrôle politique.

Bien entendu, les productions annexes sont elles aussi affectées. A la Française de mécanique de Douvrin, c’est un projet de 180 départs « volontaires » qui est entériné. Au site de Gondecourt, Visteon pourrait licencier 101 salariés, sans compter celui de Flins (32 salariés concernés) et celui de Châtillon-sur-Seiche en Ile de France, où pourraient être supprimés 18 emplois. Entre 300 à 400 intérimaires ont déjà dû quitter l’unité de production. Deux ans après un plan social de 118 suppression de postes, Valéo à Abbeville, autre équipementier automobile, prévoit pour sa part la suppression de 104 emplois. Wagon automotive à Douai a annoncé 90 licenciements sur l’ensemble de ses unités de production. A Calais, Schaeffer, spécialisé dans la fabrication de chaînes de distribution, compte licencier 115 personnes. IGA à HéninBeaumont, prévoit le licenciement de 33 personnes, Westaflex à Roubaix doit supprimer 74 emplois. Le site d’Annezin de Bosal, en cessation de paiement, est menacé de fermeture indique.

Touchée par la crise, l’industrie automobile répercute les difficultés sur toute une chaîne de productions, ainsi la fabrication des résines phénoliques à Brebières chez Dynéa, où « 53 emplois [sont] sur la sellette. » Dans la société Provost située à Halluin, qui fabrique des matériels de rayonnage et de manutention, 60 contrats d’intérimaires ne seront pas renouvelés, 9 salariés vont être licenciés. La production d’acier, en amont de la production automobile, connaît le même sort. La forge industrielle MSI France basée à Hénin-Beaumont licencie 57 personnes et se sépare de ses intérimaires.

Les lois du régime marchand capitaliste n’agissent pas seulement dans le secteur automobile, d’autres branches productives sont affectées dans le Nord. L’industrie du textile déjà lourdement touchée depuis des décennies, en fait aussi les frais : licenciements à Intissel (8 licenciements), Roquette Textile (40 à 50), Staf (27), Artex (16), Confection de l’Alloeu (95), les Dentelles Brunet (52).

On peut poursuivre la liste. 41 licenciements prévus chez Sepieter, spécialiste de la fabrication et de l’impression d’enveloppes. L’industrie ferroviaire est touchée, notamment A.F.R., placé en redressement judiciaire, et qui prévoit un plan social, 60 salariés sont concernés sur les 310 que compte cette entreprise. La fabrication de meubles en kit pour le camping et les caravanes, sous la marque Techwood, connaît une baisse d’activité de 30 %, 9 licenciements sont programmés. La corderie est également concernée, l’entreprise Cousin-Trestec à Wervicq-Sud applique « un plan de restructuration », 14 emplois vont être supprimés. Chez Industrial Scientific, spécalisé dans la fabrication et la commercialisation d’appareils de détection de gaz, un plan de suppressions de 40 postes est envisagé. Chez Europerf à Wormhout où l’on fabrique et conditionne du parfum 21 licenciements sont programmés.

Des industries jusqu’alors relativement florissantes sont aussi affectées. Total annonçait une restructuration en France et la suppression de 555 postes dans le raffinage et la pétrochimie. Le groupe pharmaceutique, Glaxosmithkline compte supprimer quelque 850 emplois en France. Aux établissements Roquette à Lestrem, spécialisé dans la transformation de l’amidon, 143 emplois en CDD « seraient sur la sellette ». Et encore 240 postes supprimés à Marly et Saultain, qui fabriquent des peintures et revêtements anticorrosion, le groupe américain PPG, n’échappant pas à la règle.

La liste est déjà suffisamment longue, mais n’oublions pas le secteur tertiaire comportant la grande distribution, notamment la vente à distance. Pour les Trois Suisses et la Redoute 674 emplois supprimés. Chez EDA, grossiste alimentaire, en redressement judiciaire pour une période de quatre mois, les 770 employés en France ont de quoi s’inquiéter. La crise, on le sait, touche également les transactions immobilières. Soleil Immobilier a ainsi subi « une baisse de 50 % », 25 de ses 50 salariés ont été licenciés. Idem pour les agences d’intérim, un plan social prévoit 500 suppressions au niveau national, dont 40 à 60 dans le Nord-Pas-de-Calais.

Indicateur des transactions marchandes, le transport, dans la région Nord-Pas-de-Calais, selon la Voix du Nord (14 janvier 2009), a perdu « dix mille emplois en 2008 ».

Tous ces licenciements et fermetures d’entreprises bien que non exhaustifs et couvrant une période relativement récente, témoignent de l’ampleur de la crise qui bien sûr ne se limite pas à la seule région Nord-Pas-de-Calais.

L’essor du chômage partiel

Le recours au chômage partiel est assez évocateur. Ce dispositif est mis en œuvre dans la plupart des secteurs d’activités. Les salariés qui ne sont pas licenciés, chôment sans perdre leur emploi, du moins dans l’immédiat. Mais leur salaire diminue en fonction du nombre de jours chômés. Là aussi, comme à propos des licenciements, il est fait état de la « baisse des commandes », de la nécessité de baisser la production, « s’adapter aux besoins du marché ». Dans le secteur automobile, un mois d’arrêt de travail chez Sevelnord en décembre 2008, 3 jours en janvier, 7 en février et 6 en mars. Chez Valéo, trois semaines d’arrêt de travail, 41 chez Bridgestone. Dans l’emballage de luxe, chez Uniflockage le mois de février a été chômé, un mois également dans un site de fabrication de machines agricoles. La prise de douze jours de congé sur le premier trimestre a conduit à ArcelorMittal à une grande manifestation.

Le chômage partiel ne préserve pas forcément de la fermeture d’unités de production. Le cas de CBS en atteste. L’usine de profilages, bardages et couvertures située à Louvroil, dont la production est passée de mille tonnes par semaine à deux cent cinquante, a été dans un premier temps touchée par des mesures de chômage partiel, une semaine plus tard on apprenait « la fermeture confirmée du site sambrien ».

Licenciements et chômage partiel conduisent à faire diminuer les revenus des travailleurs, potentiellement consommateurs. Ce qui conduit à un cercle vicieux pour l’écoulement des marchandises de consommation immédiate, et par suite, pour les industries qui les fabriquent. C’est ce qu’énonce un délégué CGT de chez Visteon : « si on nous enlève nos salaires, il n’y aura personne pour consommer… »

Luttes sociales, tenter d’atténuer les effets de la crise

La plupart des luttes sociales recensées dans la Voix du Nord, s’assignent des objectifs qui se rejoignent sur un point : tenter d’atténuer les effets de la crise. Des salariés de Valéo, de Toyota, par exemple, s’engagent dans une grève de sept jours afin d’obtenir des primes pour compenser « les pertes de salaires consécutives aux mesures de chômage partiel », ou « l’indemnisation à 100 % du chômage partiel et des heures de grève ». Chez Wagon automotive, l’annonce d’une prolongation du chômage technique déclenche le « blocage de l’usine ». La crise génère également des réorganisations de la production qui provoquent à leur tour des réactions des salariés. A Tourcoing, chez Diramode, « les salariés en colère » débraient durant deux heures. Chez Faurecia, c’est notamment « la dégradation des conditions de travail en général et surtout la mise en place […] d’une organisation du travail en heures de jour [et non plus en ] heures postées » qui déclenche « le blocus » du site de production.

Pour les salariés affectés par des mesures de licenciement (IGA, Confection de l’Alloeu), les revendications portent essentiellement sur l’obtention d’une « indemnité supralégale ». Chez Scaeffer, en bloquant les grilles de l’usine, ils veulent obtenir ne serait-ce qu’une prime de départ de 6 500 euros. A Eurostyle Valenplast, plusieurs semaines de conflits ont permis le maintien pendant un an de la mutuelle pour les 61 licenciés et le paiement des jours de grève. Piquet de grève de plusieurs semaines chez Intissel pour obtenir « l’assurance de conditions de départ […], âprement négociées lors des dernières suppressions d’emplois, [et qui] seraient garanties aux salariés en cas de nouveaux licenciements ». L’avenir à tous se présente comme incertain. Certains mouvements visent aussi à « sauvegarder » les emplois, sans se leurrer sur une efficacité durable. Les conflits à La Redoute, aux Trois Suisses ainsi que chez Visteon sont révélateurs à cet égard.

Les mécontentements s’expriment dans une moindre mesure, au sujet des « délocalisations ». Cela a été le cas chez Visteon, on prévoit la délocalisation de huit postes du service comptabilité en Hongrie. La direction des Trois Suisses envisage « une externalisation des services informatiques, logistiques et maintenance ». Chez Graphic-Pack le transfert de certaines activités dans le Nord a mobilisé les salariés grenoblois qui ont bloqué le site de Masnière. L’INSEE, à son tour, connaît des « mobilisations » de ses salariés « qui s’inquiètent quant au projet de délocalisation à Metz d’une partie de la statistique publique…».

Du côté des agriculteurs et marins-pêcheurs, le désarroi s’exprime face à la baisse des prix à la production (lait, viande et volaille), pour d’autres au sujet des quotas pour la pêche du cabillaud.

On constate que la plupart des luttes menées sont de caractère défensif. Il s’agit de limiter les effets de la crise sur les salariés. Pour quelques unes, moins nombreuses, des salariés s’efforcent de maintenir des positions, en lançant au moment opportun des actions pondérées de courte durée, pour les revendications salariales, à l’occasion de négociations annuelles. Ce fut le cas chez Bombardier, Carambar et Finimétal.

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Quel sens donner à tous ces faits ? En premier lieu que s’expose à travers eux la contradiction destructrice du régime marchand capitaliste, qui avec la crise s’impose avec violence et ne laisse présager aucune issue favorable. Mais aussi que les luttes poursuivent un objectif commun, la nécessité d’inverser la tendance régressive. A terme, cette tendance ne peut être inversée qu’en travaillant à transformer la base économique d’un régime qui périodiquement la reproduit. Ces diverses luttes sont éparpillées, mais leur signification historique générale est celle-ci : la lutte pour un régime qui soit vraiment « social ». Comme l’indiquait Marx, il ne s’agit pas de dire : « Abandonnez vos luttes ce ne sont que des sottises », mais de montrer aux hommes « pourquoi ils luttent véritablement », vers quel type de société ils veulent aller.

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