L’analyse soviétique de la crise générale du capitalisme (1934)
En janvier 1934, le rapport de politique générale présenté au XVIIe Congrès du Parti communiste de l’URSS [1] prend en compte les conséquences de la crise générale de 1929, tant au plan des rapports de classe que des relations entre puissances. La crise est évoquée en ces termes : « crise continue du capitalisme mondial ». Un diagnostic est posé : accélération des préparatifs de guerre impérialiste pour un nouveau partage du monde et des sphères d’influence, au profit des états forts. « Les choses s’orientent vers une nouvelle guerre impérialiste comme issue à la situation actuelle. »
Caractères généraux de la crise
Plutôt que de se centrer sur les motifs immédiats de déclenchement de la crise de 1929 (krach boursier), le rapport met l’accent sur l’entrée dans une la « crise continue de l’économie mondiale », qui touche l’industrie, l’agriculture, le commerce, la circulation monétaire et le crédit. Il en résulte une aggravation de la lutte pour les marchés extérieurs, la guerre commerciale, le dumping, et donc aussi aggravation des conflits entre pays capitalistes et des contradictions de classes. La crise industrielle qui succède à 1929 n’est pas considérée comme comparable aux habituelles « crises de transition », qui passent de la dépression ordinaire à un nouvel essor. La sous-production chronique des entreprises, le chômage massif persistent, il y a interpénétration des différentes crises, et « l’absence de cette tendance vers un renouvellement du capital fixe, annonçant le début d’un essor ». Pourtant, si la dépression ne s’ouvre pas sur un essor nouveau, elle ne semble pas non plus conduire à une rétrogradation vers le point le plus bas.
La chute des prix a touché surtout dans un premier temps les marchandises des producteurs inorganisés : paysans, artisans, petits capitalistes ; ce n’est que graduellement qu’ont été aussi frappées les marchandises des gros producteurs organisés, les capitalistes groupés en cartels.
Le caractère durable de la crise industrielle s’explique par le fait que celle-ci « s’est étendue à tous les pays capitalistes sans exception, rendant difficiles les manœuvres des uns aux dépens des autres ». Cela serait dû au fait que la crise industrielle s’est trouvée mêlée à la crise agraire qui s’est emparée de tous les pays agraires sans exception, ce qui ne pouvait que compliquer et approfondir la crise industrielle. Ce caractère durable s’explique aussi par le fait que la dépression industrielle qui succède à 1929, s’est « déchaînée dans le cadre de la crise générale du capitalisme, au moment où celui-ci n’a déjà plus et ne peut plus avoir, ni dans les principaux états, ni dans les colonies et pays dépendants, la force et la solidité qu’il avait avant la guerre et avant la révolution d’Octobre. »
Les effets de la crise en matière internationale
Le rapport souligne les dangers politiques qui peuvent être associés à cette crise générale.
« Cette crise économique prolongée a eu pour résultat d’aggraver comme jamais la situation politique des pays capitalistes, tant sur le plan intérieur qu’à l’échelle internationale ».
« L’accentuation de la lutte pour les marchés extérieurs », la guerre commerciale « ont aggravé à l’extrême les rapports entre pays, créé un terrain propice aux conflits militaires et mis la guerre à l’ordre du jour, comme moyen d’un nouveau partage du monde ». Différents plans de guerre et de repartage s’élaborent au sein des différentes puissances. « Les uns pensent que la guerre doit être organisée contre l’une des grandes puissances. Ils pensent lui infliger une défaite écrasante et rétablir leurs affaires à leurs dépens. » « D’autres pensent que l’on doit organiser la guerre contre des pays faibles au point de vue militaire, mais étendus quant aux débouchés ». « D’autres encore pensent que la guerre doit être organisée par une “race supérieure”, par exemple la “race germanique” ». « D’autres enfin pensent qu’il faut organiser la guerre contre l’URSS, partager son territoire et s’enrichir à ses dépens ».
Les conséquences de la crise au plan politique
La crise économique a placé dans une situation difficile les différentes classes productrices, ouvriers, paysans, mais aussi artisans et petits entrepreneurs. « Quatre années de crise industrielle ont épuisé et poussé au désespoir la classe ouvrière. Quatre années de crise agricole ont ruiné à fond les couches déshéritées de la paysannerie, non seulement dans les principaux pays capitalistes, mais encore et surtout dans les pays dépendants et coloniaux ».
Il en résulte de profonds mécontentements et « l’idée d’un assaut » contre le régime capitaliste qui en est la cause, mûrit dans la conscience des masses. Toutefois « les masses populaires n’en sont pas encore au point de livrer assaut au capitalisme », notamment du fait de carences [2] quant à leur organisation politique. Les classes dominantes craignent cependant que l’organisation et l’union des classes populaires se développent. En conséquence, elles travaillent à réduire les vestiges de la démocratie bourgeoise, voire à les détruire en recourant au fascisme.
« [Que l’idée de l’assaut contre le capitalisme] mûrisse dans la conscience des masses », c’est ce qui explique « que les classes dominantes des pays capitalistes s’appliquent à détruire ou ramènent à zéro les derniers vestiges du parlementarisme et de la démocratie bourgeoise, vestiges pouvant être utilisés par la classe ouvrière dans la lutte contre les oppresseurs ». Cette crainte explique aussi « qu’elles jettent les partis communistes dans l’illégalité ».
Ainsi, « la victoire du fascisme en Allemagne, il ne faut pas la considérer simplement comme un signe de faiblesse de la classe ouvrière [ou comme le résultat des trahisons perpétrées par la social-démocratie], mais aussi comme un signe de faiblesse montrant que la bourgeoisie n’est plus en mesure d’exercer le pouvoir par les vieilles méthodes du parlementarisme et de la démocratie bourgeoise ». Cela contraint (plus spécialement l’impérialisme allemand), à recourir en politique intérieure aux méthodes terroristes de gouvernement et à l’extérieur à une politique de guerre. Il est important de voir que cette « faiblesse » de la bourgeoisie est de nature historique, et qu’elle ne conduit pas nécessairement à la révolution, mais qu’elle peut, à moyen terme, conduire à la régression politique, la fascisation et la guerre.
Une mise en garde est formulée à l’égard de ceux qui, imaginent que la situation de crise économique conduit nécessairement à une révolution. « Certains camarades pensent que dès l’instant où il y a crise révolutionnaire, la bourgeoisie doit se trouver inévitablement dans une crise sans issue […] qu’il ne leur reste donc qu’à attendre la chute de la bourgeoisie et à rédiger des résolutions triomphales ». Or, il est des moments, où même en cas de véritable « situation révolutionnaire », « où le pouvoir de la bourgeoisie est ébranlé jusque dans ses fondements », mais, « où pourtant la victoire de la révolution n’arrive pas, parce qu’il n’y a pas de parti révolutionnaire du prolétariat […] ayant assez de force et d’autorité pour entraîner à sa suite les masses et prendre le pouvoir. Il serait déraisonnable de croire que des « cas » pareils ne puissent se produire ».
La suite de l’histoire devait malheureusement vérifier le bien fondé de telles analyses.
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