Feuilleton (à suivre) – I – Aux commencements du processus révolutionnaire russe
ocessus révolutionnaire russe ne commence pas en 1917, ni même en 1905. Sans même parler des relations qui s’établissent entre les mouvements sociaux, républicains et populaires, notamment entre la France et la Russie depuis la Révolution française, les premiers pas du mouvement ouvrier et socialiste commencent bien avant la fin du XIXe siècle. Entre ce premier mouvement et la révolution russe d’Octobre 1917, un demi siècle s’est écoulé.
Au cours du troisième tiers du XIXe siècle, le développement industriel de forme capitaliste s’effectue en Russie tardivement mais avec rapidité. Le mode de production marchand, puis marchand capitaliste pénètre aussi le monde paysan. Un marché intérieur est dans le même temps en voie de formation. Une classe prolétarienne de caractère moderne (concentrations industrielles) se forme, différant pour partie dans sa composition des classes ouvrières qui s’étaient manifestées au cours des révolutions du XIXe siècle dans un pays comme la France. Le processus d’organisation proprement politique de cette classe s’effectue cependant au sein de formes sociales et politiques plus “arriérées” qu’en France, avec des institutions de l’Empire russe, peu nourries de principes démocratiques, et surtout non historiquement unifiées.
Dès les années 1860-65, on observe dans l’empire russe un double mouvement. D’un côté, les premiers développements d’une industrie capitaliste, avec pénétration importante de capitaux étrangers. Ce processus est marqué par l’extension d’importantes concentrations ouvrières, la prolétarisation d’une partie de la paysannerie. De l’autre, sous l’impulsion de ce développement, on observe la formation des premières organisations d’un prolétariat moderne [1], en même temps que de petits cercles marxistes, pour partie influencés par le mouvement socialiste en Europe occidentale. Ces cercles sont alors peu liés à la masse ouvrière, tandis que le mouvement ouvrier grandit. Celui-ci d’abord désordonné, limité à des explosions immédiates, soumis à diverses influences, s’élargit et s’organise. En cinq ans (de 1881 à 1886), on compte en Russie plus de 48 grèves et 80 000 grévistes.
La Russie n’en demeure pas moins un pays foncièrement agraire. En 1897, les 5/6e de la population travaillent dans l’agriculture, contre 1/6e dans l’industrie, les transports, le commerce. Les paysans ne sont plus serfs, mais souvent condamnés à payer des fermages et soumis à de nombreuses redevances, pour “payer” en quelque sorte aux propriétaires fonciers leur émancipation du statut de servage. Leur situation ne s’améliore pas. On assiste à un processus de décomposition de la paysannerie traditionnelle, une partie se prolétarise, tandis qu’une bourgeoisie paysanne, liée au marché, se constitue.
De premiers cercles marxistes se forment, dont le groupe Libération du travail constitué en 1883. Celui-ci est organisé depuis l’étranger par Plekhanov, un ancien populiste, maintenant propagateur de la théorie marxiste, qu’il rétablit contre de multiples altérations et contre le courant “populiste”. Ce groupe diffuse les thèmes d’un socialisme moderne. Comme les organisations socialistes de l’époque, dont l’influence s’est élargie dans divers pays européens, Libération du travail pose que le socialisme est le produit nécessaire du développement de la société capitaliste. Par conséquent, seule la réunion sous direction prolétarienne des forces sociales hostiles aux effets du capitalisme, se présente à même d’affranchir des maux qu’inflige ce régime de production, et viser à terme une révolution pleinement sociale, qui concerne toute la société. Pour imposer cette conception des moyens et des buts d’une telle révolution, la bataille sur le plan des idées se révèle centrale. Il s’agit de savoir dans quel sens orienter le mouvement d’ensemble.
Dans le contexte de la fin du XIXe siècle en Russie, cette bataille se tient contre les courants populistes, tournés vers le passé, et qui exercent dans le domaine des idées une influence sur le mouvements populaires, plus spécialement sur la paysannerie.
Le courant populiste, qui, dans ses commencements, avait eu recours à des modes de lutte terroristes, était regroupé au sein de l’organisation Narodnaïa Volia (la Voix du peuple). Au plan de l’analyse de la base économique, les populistes refusaient de prendre en considération le fait que le développement du capitalisme était en cours en Russie, que par conséquent le développement d’une classe ouvrière moderne était un phénomène irréversible, et que cela constituait une condition favorable au processus révolutionnaire. Pour les populistes, le capitalisme n’était qu’un phénomène accidentel en Russie, ils ne tablaient pas sur le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière et n’envisageaient pas de projeter le mouvement vers l’avenir. La principale force révolutionnaire était pour eux la communauté paysanne, qui devait mener le combat guidée par la perspective populiste.
La Narodnaïa Volia fut détruite par l’autocratie et les populistes renoncèrent à la lutte sous sa forme terroriste. Mais leurs conceptions et leur influence se maintenaient parmi les intellectuels d’esprit révolutionnaire. Dans les années 1884-1894, la lutte théorique et idéologique contre ce courant eut une portée décisive. Plekhanov et le groupe Libération du travail engagèrent une critique qui limita leur influence. Leurs idées cependant renaissaient sous diverses formes. La lutte théorique contre ce courant se poursuivit avec les textes de Lénine, notamment Ce que sont les amis du peuple et comment ils luttent contre les social-démocrates (1894). Il établit que ces faux amis du peuple marchent en réalité contre lui. Puis, dans Le développement du capitalisme en Russie (rédigé en 1896-1898), il analyse, en continuité avec Plekhanov, l’effectivité du développement capitaliste en Russie et son incidence sur l’évolution et la disposition des forces de classes.
La lutte devait aussi être menée contre les courants bourgeois, incapables de prendre en mains leur propre révolution bourgeoise démocratique, contre l’autocratie tsariste et les forces féodales, et les tâches qu’une telle révolution impliquait
- ocessus révolutionnaire russe ne commence pas en 1917, ni même en 1905. Sans même parler des relations qui s’établissent entre les mouvements sociaux, républicains et populaires, notamment entre la France et la Russie depuis la Révolution française, les premiers pas du mouvement ouvrier et socialiste commencent bien avant la fin du XIXe siècle. Entre ce premier mouvement et la révolution russe d’Octobre 1917, un demi siècle s’est écoulé.
Au cours du troisième tiers du XIXe siècle, le développement industriel de forme capitaliste s’effectue en Russie tardivement mais avec rapidité. Le mode de production marchand, puis marchand capitaliste pénètre aussi le monde paysan. Un marché intérieur est dans le même temps en voie de formation. Une classe prolétarienne de caractère moderne (concentrations industrielles) se forme, différant pour partie dans sa composition des classes ouvrières qui s’étaient manifestées au cours des révolutions du XIXe siècle dans un pays comme la France. Le processus d’organisation proprement politique de cette classe s’effectue cependant au sein de formes sociales et politiques plus “arriérées” qu’en France, avec des institutions de l’Empire russe, peu nourries de principes démocratiques, et surtout non historiquement unifiées.
Dès les années 1860-65, on observe dans l’empire russe un double mouvement. D’un côté, les premiers développements d’une industrie capitaliste, avec pénétration importante de capitaux étrangers. Ce processus est marqué par l’extension d’importantes concentrations ouvrières, la prolétarisation d’une partie de la paysannerie. De l’autre, sous l’impulsion de ce développement, on observe la formation des premières organisations d’un prolétariat moderne {{1}}, en même temps que de petits cercles marxistes, pour partie influencés par le mouvement socialiste en Europe occidentale. Ces cercles sont alors peu liés à la masse ouvrière, tandis que le mouvement ouvrier grandit. Celui-ci d’abord désordonné, limité à des explosions immédiates, soumis à diverses influences, s’élargit et s’organise. En cinq ans (de 1881 à 1886), on compte en Russie plus de 48 grèves et 80 000 grévistes.
La Russie n’en demeure pas moins un pays foncièrement agraire. En 1897, les 5/6e de la population travaillent dans l’agriculture, contre 1/6e dans l’industrie, les transports, le commerce. Les paysans ne sont plus serfs, mais souvent condamnés à payer des fermages et soumis à de nombreuses redevances, pour “payer” en quelque sorte aux propriétaires fonciers leur émancipation du statut de servage. Leur situation ne s’améliore pas. On assiste à un processus de décomposition de la paysannerie traditionnelle, une partie se prolétarise, tandis qu’une bourgeoisie paysanne, liée au marché, se constitue.
De premiers cercles marxistes se forment, dont le groupe Libération du travail constitué en 1883. Celui-ci est organisé depuis l’étranger par Plekhanov, un ancien populiste, maintenant propagateur de la théorie marxiste, qu’il rétablit contre de multiples altérations et contre le courant “populiste”. Ce groupe diffuse les thèmes d’un socialisme moderne. Comme les organisations socialistes de l’époque, dont l’influence s’est élargie dans divers pays européens, Libération du travail pose que le socialisme est le produit nécessaire du développement de la société capitaliste. Par conséquent, seule la réunion sous direction prolétarienne des forces sociales hostiles aux effets du capitalisme, se présente à même d’affranchir des maux qu’inflige ce régime de production, et viser à terme une révolution pleinement sociale, qui concerne toute la société. Pour imposer cette conception des moyens et des buts d’une telle révolution, la bataille sur le plan des idées se révèle centrale. Il s’agit de savoir dans quel sens orienter le mouvement d’ensemble.
Dans le contexte de la fin du XIXe siècle en Russie, cette bataille se tient contre les courants populistes, tournés vers le passé, et qui exercent dans le domaine des idées une influence sur le mouvements populaires, plus spécialement sur la paysannerie.
Le courant populiste, qui, dans ses commencements, avait eu recours à des modes de lutte terroristes, était regroupé au sein de l’organisation Narodnaïa Volia (la Voix du peuple). Au plan de l’analyse de la base économique, les populistes refusaient de prendre en considération le fait que le développement du capitalisme était en cours en Russie, que par conséquent le développement d’une classe ouvrière moderne était un phénomène irréversible, et que cela constituait une condition favorable au processus révolutionnaire. Pour les populistes, le capitalisme n’était qu’un phénomène accidentel en Russie, ils ne tablaient pas sur le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière et n’envisageaient pas de projeter le mouvement vers l’avenir. La principale force révolutionnaire était pour eux la communauté paysanne, qui devait mener le combat guidée par la perspective populiste.
La Narodnaïa Volia fut détruite par l’autocratie et les populistes renoncèrent à la lutte sous sa forme terroriste. Mais leurs conceptions et leur influence se maintenaient parmi les intellectuels d’esprit révolutionnaire. Dans les années 1884-1894, la lutte théorique et idéologique contre ce courant eut une portée décisive. Plekhanov et le groupe Libération du travail engagèrent une critique qui limita leur influence. Leurs idées cependant renaissaient sous diverses formes. La lutte théorique contre ce courant se poursuivit avec les textes de Lénine, notamment Ce que sont les amis du peuple et comment ils luttent contre les social-démocrates (1894). Il établit que ces faux amis du peuple marchent en réalité contre lui. Puis, dans Le développement du capitalisme en Russie (rédigé en 1896-1898), il analyse, en continuité avec Plekhanov, l’effectivité du développement capitaliste en Russie et son incidence sur l’évolution et la disposition des forces de classes.
La lutte devait aussi être menée contre les courants bourgeois, incapables de prendre en mains leur propre révolution bourgeoise démocratique, contre l’autocratie tsariste et les forces féodales, et les tâches qu’une telle révolution impli↵