La place de Sieyès et Robespierre au sein du processus révolutionnaire
Avant d’examiner les conceptions de Robespierre, et pour situer son point de vue, il faut s’interroger sur ce qui fait que la Révolution française a pu être dénommée la Grande Révolution.
On peut poser que la Révolution française est la première grande tentative aboutie, à l’échelle de toute la société, d’une pratique sociale d’un ensemble d’hommes agissant pour faire triompher des buts consciemment définis. On se dégage du mouvement involontaire, bien entendu de façon encore partielle et incomplète. On vise à réaliser des finalités conscientes, à l’encontre de rapports sociaux non voulus, posés à l’insu des hommes. Et cela, même si le “volontarisme révolutionnaire” n’a pas saisi ni résolu toutes les contradictions sociales en jeu, si les hommes ont pour partie agi sans avoir pleinement conscience de la totalité de leurs objectifs, ils n’ont pas maîtrisé l’ensemble du processus.
Des finalités distinctes, des intérêts divergents, des analyses différentes coexistent au cours du processus révolutionnaire, la Révolution se présente comme le fruit de l’action conjuguée de forces composites. Il n’est pas question d’analyser ici les modes de représentation du monde social correspondant à ces différentes forces, dont certaines étaient d’ailleurs aussi contre-révolutionnaires. On propose plutôt de se centrer sur deux moments et deux façons de concevoir le mouvement révolutionnaire selon les visées sociales que l’on poursuit.
Pour faire le lien avec l’exposé précédent, il faut d’abord noter que si Robespierre et Sieyès, dans les textes considérés, ne poursuivent pas les mêmes finalités, ils reprennent de Rousseau, des éléments communs :
– La place accordée à la volonté politique pour transformer le cours des choses. Le rôle des formes politiques, du droit politique à cet égard.
– La nécessité d’imposer de nouveaux fondements à la légitimité et à la souveraineté, contre l’ordre antérieur.
– L’idée de lutte radicale entre le passé, le présent et l’avenir : lutte entre forces, principes inconciliables, qui conduisent à la nécessité de “trancher” en faveur des principes que l’on soutient.
Ce qui sépare Robespierre de Sieyès, touche à la question de savoir au nom de qui, et pour quoi, la lutte est menée, quelle volonté souveraine devra l’emporter, quel principe de légitimité doit la fonder. Le combat initial de Sieyès se situe dans le cadre d’une opposition entre le Tiers État et les privilégiés, entre société d’ordres et société marchande (ou société « d’échanges libres »). Ce sont les “classes disponibles”, représentant les intérêts de l’ordre bourgeois, qui pour Sieyès doivent diriger le peuple, en mobilisant sa force contre l’ancienne société. Robespierre se situe dans le cadre d’une autre lutte, celle qui oppose le peuple aux riches, anciens et nouveaux, celle qui oppose « le droit à l’existence » aux formes illégitimes de propriété et à l’anarchie des échanges privés. La question des conditions, des moyens pour rendre effective la souveraineté du peuple, est pour lui essentielle.