La production de la richesse sociale et son mode de répartition entre les classes
Durant la période dite des “Trente Glorieuses”, le capitalisme, après les destructions de la Seconde Guerre mondiale, se trouvait en période de prospérité relative. Face aux revendications de diverses catégories de population, les gouvernements pouvaient alors ouvrir les vannes de la redistribution de la richesse sociale. Nombre d’individus, de toutes classes sociales, voyant alors l’argent public jaillir, comme s’il s’agissait d’un phénomène de la nature, se dispensaient de se demander quelle était la source de cette fontaine enchantée.
Cette attitude magique n’a point disparu. Mais la situation a changé. La base productive de la société s’est rétrécie. La dette publique, qui permettait ces dernières décennies encore de satisfaire jusqu’à un certain point les diverses sollicitations, atteint une somme colossale, qui tend à dépasser les moyens de la rembourser. La crise générale du capitalisme qui manifeste ses effets dévastateurs dans le monde entier, ne pouvait qu’aggraver les choses.
Dans cette conjoncture, il est plus que jamais nécessaire de comprendre à quelle source puise un État lorsqu’il pratique une large politique de “redistributions sociales”, qu’il dispense des ressources à ses agents, ou qu’il alimente des caisses de retraite ou de sécurité sociale, déficitaires.
Comprendre cette question revêt une grande importance si l’on veut élaborer une analyse concrète des différentes classes, dégager leurs intérêts respectifs, les points sur lesquels les classes populaires peuvent s’unir, mais aussi les possibles contradictions qui peuvent se faire jour entre les priorités des unes et des autres.
Sources et formes de la richesse sociale
Il y a deux sources de la richesse, en général, en tant que valeurs, biens, utiles aux hommes, ceci dans tous les modes de production : la nature et le travail humain vivant (par opposition au travail humain déjà cristallisé dans un produit). Une partie des richesses données par la nature ne devient utilisable par les hommes que pour autant que ceux-ci y exercent leur propre travail.
Les formes de la richesse sont pour leur part différentes selon les modes de production. Dans la production marchande, et dans le capitalisme qui est la forme développée de la production marchande simple, les richesses prennent “la forme marchandise”. La marchandise est constituée d’une valeur d’usage, et d’une valeur d’échange (ou valeur proprement dit). La valeur est créée par le travail humain vivant et lui seul. dans la marchandise, la valeur produite est en fonction de la quantité de travail humain nécessaire à la production.
Détenir plus ou moins d’argent revient à détenir plus ou moins de valeur, une plus ou moins grande part de la richesse telle qu’elle se présente dans le capitalisme, et donc à détenir une plus ou moins grande part du produit du travail humain vivant rendu par les travailleurs dans ce mode de production.
Que ce soit de façon justifiée ou non, légitimement ou non, tout individu — de quelque groupe ou classe qu’il soit — tout individu donc qui demande à détenir plus d’argent, c’est-à-dire à détenir plus de signes de valeur, demande plus de “droits de tirage” sur la richesse sociale créée, une part plus grande du produit du travail humain rendu en cette formation. Il ne peut que se tourner, légitimement ou non, consciemment ou non, vers la source de la “rivière enchantée”, la production de valeur créée par le travail des producteurs.
Il n’y a pas de génération spontanée, ni de miracle : dans le régime marchand capitaliste, toute quantité de valeur détenue par qui que ce soit provient toujours, directement ou indirectement, de la valeur créée par la force de travail des travailleurs producteurs de marchandises.
Les classes sociales et la répartition des richesses produites
La source de valeur et de richesse est dans la production. Et celle-ci ne peut être “répartie”, “distribuée”, que si cette production crée de la valeur, des richesses. Il faut aussi que les producteurs créent plus de valeur que ce coûte leur propre entretien, sinon il n’y aurait rien à “répartir”. Il faut donc que les producteurs créent de la plus-value, et à cette plus-value s’alimentent nécessairement, sous une forme ou sous une autre, toutes les autres catégories sociales, et pas seulement les capitalistes.
Sur la base de la production, la répartition de la richesse concerne toutes les classes, catégories sociales, en raison de places et fonctions diverses, opposées ou complémentaires, qu’elles occupent dans la division sociale du travail. On va s’intéresser à quelques-unes de ces catégories ou classes.
— Dans la production capitaliste, la répartition oppose d’abord les agents de la production immédiate de la richesse: le capital et le vendeur de force de travail[1]. Si on laisse de côté la valeur des moyens de production (ceux-ci ne sont toujours que de la plus-value accumulée et transformée en moyens de production), la question de la répartition touche au rapport entre les salaires payés pour l’emploi de la force de travail, et, la plus-value produite par cette force de travail et empochée par le capital.
Les protagonistes (les travailleurs et le capital) ont le même souci, augmenter leurs parts respectives. Mais ils ne sont pas dans des conditions équivalentes pour obtenir satisfaction.
— La question de la répartition de la richesse créée ne concerne pas que les agents de la production immédiate de la richesse, travailleurs et capital.
Les produits [marchandises] étant créés, il faut en réaliser la valeur qu’ils ont incorporée, c’est-à-dire qu’il faut qu’ils soient vendus, achetés, payés, que la valeur revienne, sous forme argent, au capitaliste, sinon la production s’interrompt, il ne peut y avoir un nouveau cycle de production. Les marchandises ne viennent pas spontanément devant les consommateurs [les acheteurs]. Leur mise en relation avec ceux-ci suppose un certain nombre d’activités qui concernent la circulation des richesses, des marchandises, activités de transport ou liées aux nécessités commerciales. Ces activités nécessaires à la réalisation des valeurs produites, impliquent du travail et des moyens matériels, elles ont un coût. Si elles sont indispensables à la réalisation de la valeur, elles ne créent pas de valeur nouvelle, tout au plus conservent-elles la valeur créée dans la production, elles sont non productives (c’est-à-dire non productives de valeur nouvelle).
Toutes les personnes occupées à ces activités utiles, mais qui ne créent pas de valeur supplémentaire, tirent leurs moyens d’existence de la richesse, de la valeur créée dans la production immédiate[2].
Les activités d’administration de l’entreprise productive capitaliste, entrent dans la même catégorie que les activités de circulation, elles sont improductives mais nécessaires au fonctionnement de l’entreprise, donc à la formation et à la reproduction de la richesse.
Le propriétaire foncier, qui détient une propriété privée du sol, dont il tire une rente, ou loyer, (imposés au capitaliste agraire ou industriel), prélève également des revenus propres sur les profits du capitaliste producteur, donc sur la richesse créée dans la production immédiate.
Le financier pour le crédit qu’il fait au capitaliste producteur perçoit lui aussi des intérêts prélevés sur le profit de ce dernier, donc sur la richesse produite dans la production immédiate. En l’occurrence, la nature proprement parasitaire de cette activité financière apparaît dès lors que l’on observe que le financier tire des revenus non d’une activité positive, mais de sa seule disposition de signes de la richesse (l’argent), et même de signes virtuels, d’argent qu’il n’a pas, qui n’est qu’une anticipation de la production de richesse par le capitaliste producteur qui emprunte.
— Dans certains pays, avec le capitalisme développé, beaucoup de catégories sociales reçoivent de la richesse sans être liées aux activités qu’on a vues jusqu’ici. Elles ne remplissent pas de fonctions directement nécessaires à la mise en œuvre du capital ou à la réalisation des valeurs produites. Une partie de ces catégories remplissent des fonctions sociales générales. C’est le cas des personnes employées par des institutions publiques non productives : armée, police, justice, enseignement, santé, administrations, entreprises publiques et assimilées, etc. Elles reçoivent leurs moyens d’existence de l’État, des départements, etc. Leurs activités peuvent être plus ou moins utiles à la société dans son ensemble, ou à une partie de celles-ci. Mais par rapport à la question qui nous intéresse ici, le problème dans tous les cas est de savoir comment les institutions peuvent distribuer de la richesse aux catégories qu’elles emploient.
Les entreprises publiques ou assimilées se distinguent des entreprises capitalistes ordinaires. Ces établissements et les personnels qui en font partie sont plus ou moins affranchis des contraintes capitalistes directes. Ils ne sont pas soumis à la répartition capitaliste ordinaire, ils n’ont pas, par exemple, l’obligation de dégager au moins le taux de plus-value et de profit moyens, qui permet de reproduire les conditions matérielles de leur activité. Ils ne sont pas même tenus de dégager des surplus. Quant aux agents qu’ils emploient, ils ne doivent pas la totalité, ou même pas du tout, leurs moyens d’existence aux richesses créées dans les établissements qui les emploient, et qui pour la plupart ne développent pas d’activités directement productives.
L’argent ne tombe pas du ciel ne pleut pas dans les établissements publics ou semi-publics qui redistribuent de la richesse. Il faut qu’ils aillent chercher cette richesse là où elle est produite, à sa seule source : dans les entreprises capitalistes productives (ou auprès des producteurs indépendants), ceci par le truchement des impôts, des taxes diverses, etc., c’est-à-dire par des prélèvements sur la valeur produite par le travail humain productif.
En période de prospérité, lorsque la production de richesse suit une ligne constante ou ascendante, tout semble aller de soi, dans le meilleur des mondes. On trouve légitime de traire le travail productif comme si son pis était intarissable. On se réjouit en pensant que l’on prend au capital ce qui nous revient de droit, et qu’on le “taxe” pour le plus grand bien de tous. Il faut « prendre l’argent là où il est », pouvait-on dire lorsque la production de richesses était au rendez-vous. La vérité de la formule tenait évidemment en ce qu’on ne peut tondre un œuf. Mais c’était oublier qu’en ponctionnant le capital, l’État et les autres institutions publiques ponctionnent toujours dans le même temps, la valeur, la richesse, produite par les travailleurs sous sa forme accumulée par le capitaliste.
En période de rétraction de la production de richesse produite par le travail productif, les institutions publiques (et le capital lui-même) ne peuvent plus répartir la même quantité de richesse aux individus et catégories qu’elles emploient. Elles sont contraintes d’emprunter sur les marchés de l’argent le nécessaire à ladite répartition. Et la dette publique augmente jusqu’au moment où aucune anticipation raisonnable de productions futures ne permet plus d’espérer un possible remboursement. Ainsi toute la société, et au premier chef ceux qui créent la richesse, les travailleurs productifs, se trouve endettés pour entretenir une partie de l’ensemble social. Et chaque accroissement de l’endettement des institutions publiques, sans développement correspondant de la production, en période de rétraction, de crise, rapproche l’État de la faillite.
On voit que le fameux “État providence” ne peut se présenter, et agir comme tel, que sur la base du travail productif et des valeurs qu’il crée pour la société, le premier ne peut pallier la défaillance du second dont il tire ses moyens.
Une autre dimension de nature politique concerne en France les personnels employés par les établissements plus ou moins productifs sous contrôle de l’État. Les catégories, du moins les personnels permanents, nécessaires ou non nécessaires, des administrations publiques, ont bénéficié de dispositions particulières, meilleures ou moins mauvaises que les travailleurs du privé, avec la concession de statuts plus ou moins exorbitants des règles capitalistes du travail salarié. Les contraintes du capitalisme ne s’y appliquaient pas, en raison de leur dépendance directe non à l’égard du capital mais des institutions publiques. Ces dispositions ont conduit à ce que ces catégories tendent à “oublier” à quelle source s’alimente la richesse qui leur est garantie et régulièrement concédée.
Cette fraction de la population, distinguée du sort commun, semble tout attendre de la puissance publique, indépendamment même pour certains des services rendus à la vie de la société. Elle a eu tendance à se poser comme idéal-type, ce qui a pu conduire à des représentations irréalistes de la situation, comme si la richesse coulait d’une source intarissable située en terre inconnue. Comme ces personnages de Brecht qui “veulent manger le pain mais ne veulent pas savoir comment il est fait”, beaucoup en sont venus à poser leurs revendications dans un monde imaginaire, se résumant pour les temps de prospérité à tirer tout le lait possible du “pis de l’État” qui semble inépuisable, et, pour les temps de crise, à exiger que cet État «fasse payer les riches pour nous payer”. En oubliant ici encore que si les riches paient c’est, comme tout ce qu’ils payent, avec ce qu’ils ont tiré des travailleurs productifs et accumulé sur leur surtravail.
Les prolétaires employés par le capital qui ont créé la valeur distribuée par la “trésorerie générale” et par les “riches” que doit solliciter l’État, est plus réaliste. En période de crise de surproduction capitaliste, lorsqu’ils voient les marchandises produites s’accumuler dans l’usine, sans acheteurs, ils savent eux, que, si les produits ne sont pas vendus, quand bien même le capitaliste leur rétrocéderait toute la plus-value, et même ses richesses personnelles, viendra le moment où il n’y aura plus rien à distribuer. Ainsi loin d’amoindrir sa combativité contre le régime capitaliste, ils l’élèvent à une vue d’ensemble, qui touche au problème fondamental de ce régime, qui ne se réduit pas tout entier au seul processus de leur exploitation, mais aussi dans la tendance irrépressible à l’extension illimitée, dans l’anarchie sociale de la production et la concurrence.
L’ensemble des questions abordées, touchant au rapport entre la production de la richesse sociale et sa répartition, est ici analysée dans le cadre du régime capitaliste. Toutefois, si le remplacement de ce régime par un régime économique socialiste, modifie les ressorts intimes, les formes et les modes d’existence de la production des conditions matérielles de vie de la société, ainsi que les rapports entre les hommes qui en dépendent, il n’exonère nullement la société — bien au contraire il le lui intime et lui en donne les moyens — de réaliser les équilibres, les proportionnalités nécessaires, entre production et répartition, entre travail directement productif et indirectement productif, entre production du nécessaire et production des moyens de développement général de la société.
Le mode de répartition de la richesse et la question de la direction du mouvement des classes populaires
Ces questions on le voit ne peuvent être éludées lorsqu’il s’agit de poser des perspectives de lutte, à court terme ou à long terme, pour les classes populaires. Sans opposer les différentes catégories sociales les unes aux autres, on doit s’interroger sur les places respectives qui doivent leur être conférées dans la direction générale et historique de la lutte des classes. Pour dresser des perspectives, doit-on continuer à se focaliser, comme c’est le cas aujourd’hui, sur les revendications catégorielles de groupes sociaux non soumis directement aux aléas du mode de production capitaliste, ce qui ne permet pas de dégager un intérêt commun. Ou faut-il prendre appui sur les classes liées à la production immédiate, les plus soumises à la contradiction fondamentale du capitalisme, et qui par là sont seules sont à même de dégager un intérêt commun de la société et de permettre une unification historique des forces.
La reconnaissance en pratique du caractère social de la production, sous la figure de la propriété sociale, ne peut pas conduire à rééditer à l’échelle de la société, le vieux mot d’ordre erroné de certaines organisations ouvrières du passé, “à chacun le produit intégral de son travail”, ni a fortiori à chacun le droit de puiser sans limites dans le produit social. Il importe en premier lieu de voir que la défense d’intérêts catégoriels, et ceci quelle que soit, pour une classe donnée, les individus ou organisations qui les formulent, ne peuvent correspondre à l’intérêt général, à court terme comme au plan historique. Examinons, à cet égard et à titre d’exemple, deux types de revendications, qui ne peuvent concourir à poser des perspectives communes pour l’ensemble des classes populaires.
La revendication, du côté des producteurs directs à recevoir le produit intégral de leur travail
Certains courants politiques ont prétendu que le socialisme devait permettre au travailleur de recevoir le produit intégral de son travail. Cette idée était absurde, puérile, démagogique. En effet les travailleurs ne pourraient être assurés d’avoir reçu le produit intégral de leurs travaux respectifs que s’ils recevaient ledit produit sous sa forme naturelle : le mineur recevrait n tonnes de charbon, le tisserand n mètres de toile, etc. Ils seraient bien avancés ! Ne serait-ce que parce qu’ils devraient passer beaucoup plus de temps à essayer, vainement, d’échanger des fractions de leurs produits respectifs, contre d’autres fractions de produits d’autres travaux nécessaires à leurs existences. Et encore on laisserait de côté la question de la nécessité pour le mineur, par exemple, de remonter lui-même à la surface le charbon abattu dans la veine, de le convoyer lui-même, etc., ce qui, une journée n’ayant que vingt-quatre heures, réduirait considérablement le temps consacré à l’abattage du minerai. Le recours à un travailleur convoyeur, qui revendiquerait aussi la possession du produit intégral de son travail, rendrait insoluble la question de savoir de qui, ou dans quelles proportions, du mineur qui abat ou du convoyeur qui met en surface, le charbon est le produit ?
L’attribution au travailleur du produit intégral de son travail a été posée comme juste répartition, socialiste. Or elle n’est même pas “sociale”.
Imaginons le travailleur ayant reçu le produit intégral de son travail, d’un mois de travail. Il est bien content, enfin il n’a plus de sangsues sur la peau. Il se présente dans son entreprise le mois suivant, où il s’aperçoit que pour pouvoir travailler le mois à venir, il faut non seulement qu’il soit là, mais qu’il apporte les matières premières nécessaires à la production, les pièces de rechange pour les machines usées le mois précédent, bref, des moyens de production.
Il constate que sa production et lui-même ont besoin de moyens de circulation.
Il constate que ses enfants doivent recevoir une instruction, que toute sa famille peut avoir besoin de soins.
Il constate que les choses et les hommes ont besoin de protection contre les accidents de toutes origines.
Il constate que son entreprise et les individus ont besoin d’être protégés contre les délits et les crimes, et aussi contre des agressions extérieures.
Il demande par conséquent des services de voirie, des écoles et maîtres d’école, des hôpitaux et des personnels soignants, des pompiers et des gendarmes, une armée, tout cela supposant non seulement des personnes mais aussi des moyens matériels.
Or, ayant reçu le produit intégral de son travail, il est seul à posséder de quoi payer le coût des moyens de production, sans lesquels le mois à venir il ne recevra que l’intégralité de rien, il est seul à pouvoir prendre en charge les coûts de la voirie, des écoles, des hôpitaux, de la justice, de la police, etc.
Une fois ces nécessités “productives et sociales” payées et satisfaites, il s’aperçoit qu’il est bien loin d’avoir en poche « le produit intégral de son travail ».
On dira qu’il peut décider de se soustraire à ces nécessités, en ce cas ni lui, ni la société, n’ont beaucoup de jours à vivre.
La revendication de droits économiques gagés sur l’augmentation de la productivité du travail
À propos de la remise en question de la réforme des retraites, certaines organisations syndicales et politiques ont cherché, ou crû voir, le salut dans un accroissement de la productivité du travail, c’est-à-dire une augmentation de la plus-value relative. Un retraité de la fonction publique, vraisemblablement militant, et paraissant restituer l’argumentaire de son syndicat, posait alors le problème ainsi :
« Il y aurait actuellement quatre retraités pour dix actifs, en 2050, il y aurait huit retraités pour dix actifs. Ce ratio actifs/retraités pose un problème facile à résoudre, si on le prend par l’angle de la richesse produite. Les dix actifs de 2050 produiront probablement plus de richesse que les dix d’aujourd’hui. »
e mode de résolution serait possible, soit si le temps de travail des dix actifs était allongé, ce qui augmenterait la plus value absolue, soit si, en une même durée, ils dépensaient plus de force de travail (travail plus intense), ou rendaient plus de produits (plus de productivité), deux formes d’augmentation de la plus-value relative. Bref, dans tous les cas, il faudrait pousser les feux sous les pieds du travailleur productif.
On remarque que ce retraité reste dans un indéfini, baptisé “la richesse produite”. Certes, il perçoit bien que « seul, le travail produit de la richesse, la valeur est toujours ajoutée par le travail ». Mais le travail en question reste une notion indéfinie, car ce qui produit de la valeur, de la richesse, dans le capitalisme, ce n’est pas un travail indéfini, mais le travail humain vivant, productif, directement ou indirectement, rendant des marchandises sous l’autorité du capital, et non pas « des richesses produites par le travail de tous ». Dans le régime marchand capitaliste, on l’a vu, nombre de personnes travaillent, sans pour autant créer de valeur, donc de richesse.
On peut faire l’hypothèse que ce retraité durant sa vie active n’a pas été payé pour se tourner les pouces, qu’il a probablement rendu un travail plus ou moins indirectement productif, ne créant peut-être pas de valeur nouvelle, mais conservant du moins des valeurs existantes. Mais les prises de position qu’il exprime correspondent mal à cette hypothèse, elles ne paraissent pas essentiellement liées à son travail, son activité sociale, mais plus au statut spécial, distingué du droit commun, qui lui était octroyé, ce qui semble-t-il l’incite à poser comme une évidence (c’est « facile »), la nécessité de l’augmentation de la plus-value relative rendue par les travailleurs productifs, pour assurer toutes les redistributions estimées dues. Il n’est pas sûr que l’on puisse, du côté des catégories à statut public, et sur la base de ce type de revendications, fonder une alliance solide avec les travailleurs productifs, et plus largement unir les différentes classes populaires.
- 1. On ne s’intéresse pas ici pour simplifier aux producteurs indépendants (agriculteurs, artisans), mais il ne faut pas oublier qu’ils participent eux-aussi de la production sociale de richesses et de valeur. Et lorsqu’il s’agit de se poser la question des alliances de classes à privilégier du point de vue historique, cette caractérisation est à considérer.↵
- 2. Cela est vrai aussi pour les richesses et valeurs créées par les producteurs indépendants.↵