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LECTURES – Crise générale du capitalisme et processus de fascisation  : La phase de “séduction”

 

Les lectures présentées dans ce dossier ne visent pas à définir le fascisme[1]. On se bornera dans ce numéro à présenter quelques textes d’époque, qui, à l’exception du premier (Nitti) sont rédigés par des partisans du régime fasciste, aux moments où ceux-ci ne disposent pas encore du pouvoir. Il s’agit donc de “séduire” différentes catégories de la population pour les inciter à rejeter les institutions et pouvoirs en place, en spéculant sur leurs difficultés, leurs mécontentements, leur rejet plus ou moins raisonné de la politique de gouvernements incapables de maîtriser les causes des crises du capitalisme.


Conditions historiques d’émergence et de mûrissement des mouvements et régimes fascistes

 

Si l’on s’efforce de considérer historiquement le phénomène du fascisme, ses conditions d’émergence et de mûrissement, on constate que les mouvements et les régimes qui s’en réclament, sous ce nom ou sous un autre, ne s’imposent pas n’importe quand dans l’histoire. Ils s’inscrivent dans un contexte général marqué par le processus de déstabilisation globale dans laquelle le capitalisme s’est engagé depuis la fin du XIXe siècle, jusqu’à aboutir à la Première Guerre mondiale et à la révolution en Russie en 1917. Nous ne sommes pas encore sortis de ce contexte.

Depuis la fin du XIXe siècle, le champ des contradictions du régime capitaliste, déjà inconciliables dans un seul pays, s’est élargi à l’échelle du monde. La première grande vague de “mondialisation” capitaliste se développe depuis lors. Tous les pays ne deviennent pas capitalistes, mais la “logique” de ce régime économique, les contradictions qu’elle porte, se répandent dans l’ensemble du globe, conférant un caractère spécifique aux autres contradictions sociales et politiques, tant dans les formations capitalistes qu’au sein de structures plus archaïques  : féodales, tribales, recyclées ou non dans la modernité.

Les processus de fascisation se manifestent ainsi au cœur d’un nœud spécifique de contradictions relevant de l’univers capitaliste moderne. Ils se positionnent à chaque fois à l’intersection de deux ordres de contradictions socio-historiques  : contradictions de classes, contradictions entre puissances. Et dans chaque pays, dans des situations concrètes déterminées.

Au XXe siècle, la Première Guerre mondiale, la révolution en Russie, n’ont pas mis fin aux désordres capitalistes. Après la guerre et la coalition armée du monde capitaliste contre la Russie en révolution –  coalition alors vouée à l’échec  – les crises économiques se succèdent. Dans le même temps, les pays vaincus (Italie, Allemagne) visent à reconquérir et étendre leur puissance, ce qui implique des préparatifs pour mener la guerre et y coaliser leurs populations. Dès 1922, les fascistes italiens instaurent un régime politique qui prétend résoudre les problèmes économiques et politiques liés à la déstabilisation du monde capitaliste.


La subversion du sens des mots et du langage politique

 

Un des premiers traits des tactiques mises en œuvre par les mouvements fascistes porte sur la subversion du sens des mots et du langage. Pour séduire la population, le terrain de leurs adversaires politiques est investi. L’idéologie fasciste peut se présenter comme “anticapitaliste”, “révolutionnaire”, anti-bourgeois, voire même revendiquer un surcroît de démocratie. Dans les années qui suivent la Première Guerre mondiale, c’est ainsi que procèdent le fascisme italien. Après la grande crise qui affecte tous les pays capitalistes (1929), le fascisme allemand procédera de même, préparant les conditions de sa prise légale de pouvoir en 1933.

Cette subversion du langage politique pour appâter une population désorientée a été soulignée par Dimitrov dans son rapport au VIIe Congrès de l’Internationale Communiste en 1935  :


« [Le fascisme] présente son avènement au pouvoir comme un mouvement “révolutionnaire” contre la bourgeoisie. »

 

Au plan des institutions politiques, l’objectif visé par les divers courants fascistes, ne vise pas à résoudre les antagonismes économiques qui sont au fondement du régime capitaliste, à édifier une société socialiste. Il s’agit de déconstituer ou détruire les formes politiques des régimes représentatifs et des organisations politiques de classe (souvent au prétexte de prises de position en faveur de formes “démocratiques” plus “concrètes”, plus “proches des gens”, plus directe). Ce processus de subversion s’effectue en premier lieu “en douceur”, par la flatterie identitaire, ce qui n’exclut pas l’intimidation idéologique. Les effets destructeurs de la crise économique qui favorise “le sauve qui peut” chacun pour soi, la montée de mécontentements de tous ordres, la division de la société en factions opposées les unes aux autres, le rejet des pouvoirs institués, sont autant d’aliments pour la propagande fasciste. Dès que les conditions de conquête du pouvoir sont atteintes (ce n’est pas toujours le cas), la violence ouverte, la terreur, physique et idéologique, se superposent aux menées séductrices.


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Dans la mesure où les grandes crises du capitalisme tendent à produire les mêmes effets, on pourrait sur cette base comparer la situation de l’entre-deux-guerres [2] et la situation actuelle. Sur les grandes tendances, il est vrai que peuvent se manifester quelques aspects communs. Il convient cependant de ne pas oublier que des facteurs distincts s’exposent dans la période contemporaine, tant dans le domaine de la politique intérieure que dans l’état des confrontations entre puissances du monde. De nouvelles puissances, avec leurs visées propres, sont entrées dans le champ de la compétition globale et il n’existe plus de pôle du socialisme, de forum international pour exposer de façon générale les luttes et perspectives historiques des peuples du monde. En outre, dans la plupart des pays capitalistes, et notamment en France, la classe ouvrière, les classes populaires, ne sont plus politiquement organisées, ce qui s’oppose au déploiement de contrefeux projetant une visée d’avenir pour toute la société.

Si les principales conditions socio-historiques qui ont présidé à la formation de mouvements et régimes fascistes, ne sont plus exactement celles de l’entre-deux-guerres, on peut cependant déceler quelques caractères communs. Avec la crise et l’aggravation des conditions de vie des différentes classes de la société, le chacun pour soi, les intérêts particuliers en lutte tendent à se présenter comme dominants, tout cela est “pain béni” pour les projets de subversion de multiples pêcheurs en eau trouble, qui spéculent sur les difficultés qui affectent la population dans sa diversité. Des conditions sont réunies pour que l’on puisse faire miroiter des solutions miraculeuses capables de résoudre tous les problèmes qui se posent à elle, même si les revendications des différentes catégories se révèlent en opposition, bien que la majorité sans doute espère encore voir triompher l’intérêt commun.

Quant à la subversion des mots et du vocabulaire politique, trait saillant des processus de fascisation, celui-ci est plus que jamais à l’œuvre. Les méthodes de persuasion, visent à subvertir les institutions ­républicaines, parfois au nom d’un surcroit de démocratie. En dépit de certaines évolutions d’ordre “technique”, elles visent toujours à abaisser la conscience du peuple.

Il est clair toutefois que si des processus de ­fascisation se trouvaient en cours, les courants qui les portent ne se dénommeraient plus fascisme, compte tenu du médiocre “souvenir” que ce mot a laissé dans les mémoires. Les projets de déconstitution de la sphère politique et de l’organisation en classe, prennent d’autres dénominations et d’autres formes, elles n’en visent pas moins à remettre en cause les formes de la “démocratie représentative”, conquête historique de la bourgeoisie ascendante sous l’initiative ou avec l’appui des classes populaires[3]. Ceci pour leur substituer d’autres formes  : formes locales, corporatives, groupements sur des bases communautaristes, de métier, mise en avant d’identités ethniques, culturelles, ou de “genres” séparés, contre les unifications générales sur une base sociale, de classe. Cette disposition des forces antagoniques avec la disposition en classes organisées, implique leur démantèlement, ouvert ou masqué.

 


 

 

 

 



Notes    (↵ Retourner au texte)
  1. 1. «  Aucune interprétation ou définition du fascisme n’a fait l’unanimité  », écrivait Robert O. Paxton dans son ouvrage le Fascisme en action. En outre, les dénominations proposées par les promoteurs du fascisme  –  fascisme italien et national-socialisme allemand  –  se présentent eux-mêmes comme autant de mots travestissant les objectifs économiques, sociaux, politiques effectifs, qui sont visés. à défaut de leur définition, pour un essai d’analyse des configurations fascistes, on peut se reporter à la contribution de Ugo Danilo Rossi, «  Le fascisme en tant que catégorie historique. Questions liminaires  », Cahiers pour l’analyse concrète 57-58. Vocabulaire du politique. Fascisme. Néofascisme, Inclinaison, 2006. Plusieurs facettes du phénomène y sont analysées  :  –  Dissolution et contournement de la notion Fascisme  ;  –  Le fascisme comme catégorie historique (ou le pourquoi du fascisme  ?)  –  Le fascisme comme catégorie politique (ou comment le reconnaître  ?) 
  2. 2. Dans l’entre-deux-guerres, fascisme et communisme se présentent comme deux voies opposées pour surmonter les contradictions du capitalisme en crise. Dans les deux cas, comme l’indique Robert Paxton, il s’agit de lever une hypothèque sociale, mais tandis que le fascisme maintient, sous des formes spécifiques, les conditions générales du régime capitaliste qu’il vise à maintenir, le communisme vise à abolir leur fondement dans la base économique. 
  3. 3. Lénine, «  Vérités anciennes et toujours nouvelles.  », Œuvres, 1911, tome 17  : «  [à l’époque des révolutions bourgeoises], les structures dont se dote la démocratie bourgeoise, la physionomie qu’elle revêt, les traditions dont elle s’imprègne, le niveau minimum de démocratie qu’elle admet, sont en fonction du passage à l’hégémonie, aux moments décisifs de l’histoire nationale, non point à la bourgeoisie mais aux couches “inférieures”, à la “plèbe” au XVIIIe siècle, au prolétariat au XIXe et XXe siècles.  » 

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