etudes, notions théoriques

courants de pensée

analyses

pages d'histoire

questions que l'on se pose

enquête, témoignage

poèmes

biographies

Les faux guides du peuple  : la leçon italienne de 1919-1922 – L’analyse de Francesco Nitti (1923)

 

Francesco Nitti fut l’un des derniers présidents du Conseil de l’Italie avant le fascisme instauré en 1922. Issu d’une famille pauvre du Sud de l’Italie, il s’éleva à la faveur des possibilités offertes par les premiers temps de l’unité italienne, réalisée en 1870 pour devenir un homme politique bourgeois, préoccupé par le développement industriel de sa région d’origine, et fervent ennemi du socialisme, qui est selon lui «  la plus grande menace pour la vie de la cité politique  ». Quand le fascisme prit le pouvoir, il s’exila en France définitivement.

Ce défenseur de la démocratie bourgeoise assiste en tant que Premier ministre entre 1919 et 1920 à la montée du fascisme, qui n’a rien à voir avec ce que l’on imagine. Car dans les premiers temps, les fascistes ne se sont pas présentés sous une forme violente, au contraire. Prétendant répondre aux demandes populaires de participation à la vie politique et de meilleure répartition sociale, le programme du Parti fasciste est un vaste filet tendu sur l’Italie pleine de mécontentements multiples mais tous fondés, nous explique Nitti  :


« Le fascisme se présenta au public, au mois de mars 1919, en soutenant toutes les causes qu’il nie aujourd’hui. Au lieu des formules d’anti-démocratie et de hiérarchie qu’il proclame, le fascisme avait des principes extrêmement radicaux  : constituante nationale, comprise comme étant la section italienne d’un mouvement révolutionnaire européen  ; abolition de la Monarchie et proclamation de la souveraineté populaire  ; abolition du Sénat et de toute forme artificielle et arbitraire de privilège  ; abolition de la police politique  ; abolition de tous les titres de caste, de tous les titres nobiliaires et chevaleresques  ; liberté de conscience et de religion dans la forme la plus large  ; dissolution des sociétés anonymes  ; suppression de toute espèce de spéculations (sic) des banques et des bourses  ; recensement des richesses et réduction des grandes fortunes  ; attribution de la terre aux paysans associés  ; élimination de la diplomatie secrète et confédération des États européens, etc. » (Bolchevisme, ­fascisme et démocratie, 1923, p. 66)

 

La pratique montre que le fascisme, une fois au pouvoir, ne fut pas la révolution sous laquelle il s’affichait. Dans le vocabulaire fasciste, le mot «  révolution  » ne désigne aucunement un changement radical de régime économique mais un retournement des institutions par la violence. En employant ce mot, les fascistes, comme plus tard les nazis, se situent sur le terrain des luttes populaires pour mieux capter les mécontents. Le fascisme se présente comme une révolution mais n’en est pas une, c’est un «  expédient provisoire de la réaction  », «  un retour au passé  », d’autant plus dangereux que dans le cas de son chef Mussolini  :


« Sa connaissance des forces ouvrières et des milieux révolutionnaires lui donnait les moyens d’agir efficacement. Partout et toujours, la réaction est d’autant plus facile qu’elle est faite par des éléments venant de la révolution, et appliquant dans le sens opposé les méthodes qu’ils ont toujours pratiquées et la démagogie qu’ils ont toujours employée. » (Bolchevisme, fascisme et démocratie, 1923, p. 69)

 

Après avoir appâté le peuple par de la surenchère révolutionnaire, le pouvoir fasciste repose exclusivement sur la violence, ce qui à en lire Nitti le distingue du bolchevisme qui, lui, est guidé par un idéal, une doctrine. La force est l’unique source de légitimation du fascisme, «  simple conquête de l’État par une minorité armée  », des chefs de bande, des aventuriers, qui ont supplanté les héros romantiques. Car les fascistes étaient très loin d’être des anciens combattants et des personnes rétrogrades. Dans un écrit antérieur, «  L’Italie et le Gouvernement Nitti en 1919  » (Opere, vol. XV, Scritti politici, VI, p. 543-544), il indique leur composition  : «  artistes, aventuriers et désœuvrés de la pensée, individus qui n’avaient aucune idée politique mais qui étaient des expressions de mécontentement  »  ; «  Mussolini réunissait surtout des artistes de théâtre, des hommes insatisfaits, mais il se présentait d’une telle façon qu’il était possible de prévoir que cet étrange parti pouvait représenter une menace pour l’avenir  » [C’est nous qui traduisons].

Au final, le fascisme a piétiné toutes les libertés une fois au pouvoir  : suppression du vote libre, nomination des maires (podestats) en lieu et place d’élections, épuration du barreau, intimidations en tout genre, prélèvement forcé sur tous les salaires, y compris de ceux qui ne sont pas fascistes, stigmatisés comme antinationaux, gouvernement par décret, confusion entre parti et nation, rejet assumé des Lumières et de la démocratie. La maison de Nitti fut mise à sac. Le piège se referme sur les Italiens et sur la démocratie bourgeoise  :


« Quand l’Italie a perdu sa liberté, après l’occupation fasciste, j’ai vu se révéler des choses que je n’aurais jamais crues possibles  : des hommes que je croyais parfaitement honnêtes sont devenus des espions, des voleurs et n’ont pas dédaigné servir les plus vils desseins. De jeunes et ardents démocrates, maçons fervents, des esprits libres ou s’affichant tels, exagérant leur anticléricalisme, sont devenus complices de toutes les rapines au service de la réaction. Des secrétaires qui avaient ma confiance et dont je n’avais jamais douté de l’honnêteté, que j’avais élevés au rang de préfets, de directeur général de ministère, d’ambassadeurs, se sont abaissés à faire œuvre d’espionnage, se sont associés au vol et à la rapine. » (La democrazia, 1933, p. 71)

 

Un commentaire ?